Résonnez chaînes, sonnez crécelles, grincez molaires ! Voici un album qu'on ne feuillette pas, un album qu'on ne lit pas, qu'on n'admire pas. Non, voici un album dans lequel on se vautre avec
délectation ! À peine remis de l'ABC de la trouille, il nous faut affronter aujourd'hui la noirceur
jubilatoire d'123 l'effroi. Ah, les visions ricanantes de monsieur Albert Lemant et leur terrifiante précision, l'affreuse vitalité du trait ! Car c'est bien là le paradoxe de ce livre :
ces images pour le moins... mortelles débordent de vie ! Les nombres éructent, grincent, gueulent, se marrent et tout cela est terriblement communicatif.
123 l'effroi est une danse macabre comme on n'en a pas guinchée depuis longtemps, un bestiaire nocturne où valsent rats, chouettes, tarentules et chats noirs, et qui finit pourtant par
être rattrapé par l'Histoire. Et le rire se fige lorsqu'en tournant la page, on finit par croiser un casque à pointe, des barbelés.
Quatorze casques à pointes,
bientôt dix-huit, se pointèrent
Tranchant dans les tranchées,
arrachant les artères.
Comme vous le voyez, le texte n'est pas en reste. Il lui fallait être sacrément gaillard pour tenir tête au charivari gravé alentour. Mais c'est sans compter avec l'habileté d'Albert Lemant à
jouer des sonorités, à se jouer du sens, jusqu'au jeu de mot final qui vous laisse refermer l'album sur un éclat de rire.
Vous l'aurez compris, cet album ne cesse de me réjouir, j'y reviens régulièrement pour m'y étonner, y piquer une ombre, un détail. Pour finir, et parce qu'on est dans le Cabas, permettez que je
vous laisse en dragonnement bonne compagnie...
Deux ans ! Au bout de deux ans, on avait le droit de se penser à l'abri du dragonnet aux dreadlocks bleues. Eh bien non ! Voilà que le pendable duo Alex Cousseau-Philippe-Henri Turin nous refait
le coup du gentil-mignon-dragon-esseulé ! Sans doute comptent-ils émouvoir les mères de familles qui ne manqueront pas d'acheter innocemment cet album - fort onéreux au demeurant. Et
qu'auront-elle offert à leurs petits, les malheureuses ? Un recueil d'illustrations mégalomanes ! En effet, qu'a-t-on besoin de farcir un dessin de milliers de fleurs, là où d'autres ont
brillamment démontré que trois gommettes suffisaient ? Et que dire du traumatisme que pourrait provoquer la vision atroce d'une cruelle scène de chasse où de pauvres oiseaux se font dévorer
vivants par une bête sauvage qui n'a plus rien, finalement, de l'innocente bestiole du premier tome !
Je vous passe les désagréments dus à certaines images que je n'ai pu examiner qu'armée de solides lunettes de soleil... Monsieur Turin pense-t-il résoudre la crise énergétique par de tels moyens
?
Et cet oeil, qui saute sur le lecteur à peine a-t-il ouvert l'album... On est comme ça, chez les Cousseau-Turin, sachez-le, on hypnotise, on envoûte. C'est malhonnête.
aie confiance... lis-moi...
Quand au texte, il est farci de mots étrangers (ciao, iglou), incompréhensibles (balbuzard, troglodytes), voire imprononçables (Polyphème)... Monsieur Cousseau,
écrivain par ailleurs remarquable, ne manque pas une occasion de nous asséner des vers de mirlitons à la rime riche mais facile (faim/puffin), car le dragon est toujours poète ! Poète...
Qui est encore poète de nos jours ?
Je ne m'étendrai pas sur le sujet mille fois rebattu de l'amitié entre les peuples, enfin entre les espèces, alors qu'on ignore ici d'autres thèmes infiniment plus formateurs pour la jeunesse,
comme l'acquisition de la propreté (car ce dragon fait bien caca, non?), ou l'arrivée d'une atroce petite soeur !
- [...] et j'ai entendu dire que tu cherchais des amis...
- Oui, répondit Charles. Mais des amis pour la vie. Combien de temps vis-tu coccinelle ? Un an ou
deux ? Alors sache que moi, dragon, je vis plusieurs siècles.
- Un an ou deux d'amitié, c'est toujours mieux que rien. [...]
- Et une éternité à te regretter c'est beaucoup, ajoute Charles. Il y a longtemps, une mouche m'a appris à
voler. Aujourd'hui, elle n'est plus que poussière.
Mais qu'est-ce que c'est que cette conception rentabiliste de l'amitié ? Si on suit cette logique, plus moyen de sympathiser avec une personne âgée !
D'autres choses encore ne manqueront pas de choquer les pédagogues soucieux de la sérénité des jeunes générations. La solitude de Charles... Oui, Charles est seul. Il a abandonné ses parents. Ou
la réalité, que l'on nous cache, est encore plus atroce : ses géniteurs l'ont abandonné ! Ah, les Thénardiers ! Des parents indignes qui ont laissé leur progéniture voler vers des horizons
peut-être plein de promesses mais plus sûrement plein de dangers ! Le voici en butte à la violence d'un inuit atrabilaire ! Plus loin, c'est un cyclope velu de la pire espèce qui s'en prend à lui
! Parlons-en du cyclope, alibi littéraire, pauvre vernis antique... Entièrement nu, exhibant une pilosité à même de troubler des générations de jeunes esprits à la libido naissante. Quand je dis
entièrement nu, j'exagère un peu, la présence salvatrice d'un boqueteau ou d'un rocher opportun nous sauvant in extremis de la catastrophe.
Que vous dire d'autre, sinon que cet album est démesuré, trop généreux, trop grand. Trop grand pour des petits bras qui pourront à peine le tenir ouvert, pour des petits yeux qui pourront à peine
embrasser certaines images, au risque de s'y perdre. Et ce n'est pas l'expertise de Monsieur Turin dès qu'il est question d'anatomie dragonnière qui nous fera oublier les outrances de ce livre en
matière de couleur, mouvement, lumière et autre construction de l'image !
Il n'y a qu'à voir le crayonné préparatoire de ce dessin... D'où le dessinateur tient-il qu'il faille en faire autant, qu'il faille être aussi exigeant pour un ouvrage destiné, j'ose à peine le
dire... à des enfants ! Quel gâchis!
En conclusion je suis navrée à l'idée que cet album, outre le fait d'encombrer les bibliothèques, aille considérablement enrichir le compte en banque de ses auteurs, dont la malhonnêteté n'a
d'égal que la folie des grandeurs !
Mirjana Farkas a illustré cette chanson de Boris Vian, drôle, foutraque, brillante et désopilante. La joyeuse simplicité des dessins - mais quelle classe ! - redonne un coup de jeune à cette
histoire d'amour mise en musique par Alain Goraguer en 1955... Fantaisie débridé, mouvement permanent, sourires délicieux, tout concourt à faire de cet album une parfaite entrée en matière dans
l'univers de Boris Vian. Ceux qui, comme moi, on fait de cet écrivain un compagnon de voyage, ne seront pas dépaysés par l'univers de Mirjana Farkas.
L'amour, c'est tourneboulant et toujours un peu ridicule,
mais c'est ça qui est bien, non ?
C'est la java martienne
La java des amoureux
Toutes tes mains dans les miennes
Je revois tes trois grands yeux
[...]
Ton nom me hantera sans cesse
Pendant les longues nuits d'été
Ton nom doux comme une caresse
Porfichtoumikdabicroûté
La java martienne
Boris Vian & Mirjana Farkas
L'atelier du poisson soluble
octobre 2012
Dans la série des chansons albumisées, j'avais déjà dit tout le bien que je pensais de Comment
vous saviez pas ?
Si je savais dessiner, mais vraiment dessiner...
J'illustrerais celle-ci
Le texte, signé François Morel, est assez parfait dans son genre...
Toujours à la limite du pas possible, en équilibre précaire au bord du bizarre, le regard aux aguets mais l'air de pas y toucher quand même.
Des licornes, on en a croisé des bataillons dans les contes, les romans, sur les tapisseries même ! Elle sont généralement élégantes et fine, un peu hautaines aussi. Des comme ça, moi, je n'en
connaissais pas. Mais à force d'être unique, c'est des coups à se retrouver seul, à la fin.
Armé d'une fleur qui a tout d'une baguette magique, le voici débarquant sur Terre à la recherche de... À la recherche de quoi, d'ailleurs ? De la même chose que chacun d'entre nous. Enfin vous,
je ne sais pas... La musique qui fait danser, le bonheur, mais surtout quelqu'un avec qui partager tout ça. Il ne cherche pas son semblable, non, il cherche quelqu'un d'autre.
Il y a de la grâce dans le texte de Marie-Franche Chevron, dans l'élégance de ne pas s'apesantir sur les sentiments qui, du coup, rebondissent comme Monsieur Licorne, d'un continent à l'autre. De
temps en temps, une phrase fait mouche et on se la répète comme un précieux viatique...
Le bonheur ne se fabrique pas, cher Monsieur, il se cueille.
Ou plus loin...
Pour trouver, cher Monsieur, il est parfois nécessaire d'arrêter de chercher.
Vous vous doutez bien qu'armé de tels conseils, Monsieur Licorne finira par trouver... une vraie fin de conte !
Et pendant ce temps, dans un coin, profitant de ce qu'on ne s'occupait pas d'eux, des animaux ont gagné joyeusement les frontières de l'abstraction..
Visez un peu l'oiseau qui tient quasiment autant
du poisson plat que de l'abeille...
Et là, dans le coin, ce ne serait comme un hommage discret mais visible à ce cher Pomelo ?
Un petit bémol de rien mais qui ne tient ni à l'auteure ni à l'illustrateur : cet album est trop petit ! Les couleurs de Nicolas Gouny auraient mérité quelques centimètres de plus !
Et ce petit bijou de rejoindre direct l'étagère de mes préssssieux !
C'est rien, mon petit homme, tu es si beau qu'il ne peut rien t'arriver de moche.
En matière d'illustration, il y a émotion et émotion.
Je dis en matière d'illustration, mais ça peut marcher aussi avec les mots, les gens. Tant que ça marche sur la pointe des pieds, moi, je prends. Je suis du côté de l'émotion qui n'a
l'air de rien, qui s'exprime de pas grand chose, qui se dit sans mots. Enfin, qui se dit sans mots, n'exagérons pas. Alors sortez vos mouchoirs. Mais s'il vous plaît, des mouchoirs de
toile fine, de ceux dans lesquels on hésite à se moucher. Surtout lorsqu'ils sont brodés par Olivier Tallec.
Vous avez déjà pleuré, vous, debout dans un coin de bibliothèque ? Mais municipale, la bibliothèque, publique. Pas la vôtre chez vous, ouske personne ne vous voit. Ce petit bonhomme m'avait
accroché l'oeil. C'était juste avant qu'il ne me fende le coeur. Sa maman vient de mourir. Rien que ça. Quand on est mère de petit bonhomme soi-même, l'idée est tout simplement
insupportable. Le texte de Charlotte Moundlic est juste, sans fioritures, au plus près de la parole de l'enfant, sans pour autant sacrifier l'élégance du texte écrit, mais vraiment
écrit.
La croûte, c'est la blessure, quelle qu'elle soit. Celle qu'on cultive pour se sentir vivant. Mais celle qui finira bien par cicatriser. Elle fera moins mal, mais elle laissera une
trace. Pas de pathos ici, oh non. Tout est dit sur la couverture. Le petit regard perdu, les guiboles fragiles des petites personnes, si vulnérables qu'elles semblent perdues sur le plus
quotidien des canapés.
Maman est morte depuis plusieurs nuits, je n'ai plus envie de dormir, j'ai un peu mal au ventre et je n'arrive pas à m'occuper de papa.
J'essaie de ne pas oublier l'odeur de maman mais elle s'en va, je ferme toutes les fenêtres pour ne pas qu'elle s'échappe et papa me gronde parce que c'est
l'été, parce qu'il fait trop chaud et parce qu'il ne sait plus trop comment me parler.
Je vois bien que ça lui fait mal de me regarder à cause de mes deux-yeux-de-ma-mère.
Je ne lui ai pas expliqué que c'était pour continuer à respirer maman, dès que je dis "maman", il pleure.
Comme adulte, il n'est pas facile.
L'intensité des rouges d'Olivier Tallec contraste avec la fragilité du dessin. La légèreté du petit bonhomme, le soin apporté aux détails apportent un contrepoint salutaire à la tristesse
ambiante. Le texte est envahi de grands aplats - le canapé, la maison, l'escalier, la table, le mur de la chambre.
J'aime cette image où chacun est absent à l'autre. Le père, devant le frigo, semble enfermé dans un bocal. La table au premier plan nous plante dans le rouge, à l'ombre d'un bouquet squelettique.
Une des rares incursions de la couleur accompagne l'écorchure.
Ailleurs, l'illustration se fait discrète, vignettes crayonnées, mouvement, sentiment.
Rarement un album m'aura émue à ce point. Rarement sujet aussi casse-gueule aura été traité avec tant de délicatesse.
Le courage, c'est quand on a peur, mais qu'on y va quand même.
Chers parents, si un jour, d’aventure, vos minuscules ont émis l’hypothèse qu'ils seraient mieux considérés dans une autre famille, ce film est pour vous. Enfin pour eux…
Chers oncles, tantes, parrains, marraines, en butte à de ravissants tyrans de moins d’un mètre cinquante maudissant leur sort de sales enfants gâtés, ce film est pour vous. Enfin, pour eux…
Car dans la vie de Coraline, tout va de travers. Des parents très affairés, un déménagement inopportun, une nouvelle maison de guingois, loin de tout, sans compter la pluie. Parce que,
sachez-le, parfois, les éléments eux-mêmes se liguent avec les circonstances. Si vous voyez ce que je veux dire…
Coraline est à l'origine un court roman de Neil Gaiman publié en 2002, aussi sec couronné d'une rafale de prix, tartiné de louanges et comparé à Alice au pays des
merveilles, rien que ça – parce qu’à partir du moment où une petite fille passe dans un univers parallèle, vlan ! nous voilà du côté d’Alice. C’est bien d’avoir des repères
simples. Quoi qu'il en soit, ce texte à peine terminé, Neil Gaiman demandait à son agent de le faire parvenir, au cas où, à Henry Selnick, réalisateur de l'Étrange Noël de Mr
Jack...
Coraline a donc des parents très occupés - Petitou laisse-moi, j'ai une chronique sur le feu - qui ne lèvent guère les yeux de leur ordinateur - je n'en ai pas pour longtemps, sois
patient. Ou va jouer. Mais tout seul. Au hasard de l'exploration de leur nouvelle maison, parce que les enfants désœuvrés finissent toujours par trouver de quoi s’occuper, n’est-ce
pas mon mignon ? la demoiselle va trouver ailleurs l'attention qu’elle cherche, au risque de tomber sur de nouveaux parents formidables, copie conforme des siens, absolument
disponibles, mais vaguement inquiétants. Oh, trois fois rien, ils ont de gros boutons noirs à la place des yeux, comme ces poupées de chiffon, figée à jamais sur un sourire cousu main.
Souriantes mais flippantes…
Coraline hésita. Elle se retourna. Son autre mère et son autre père venaient vers elle en se tenant par la main. Leurs yeux-boutons noirs étaient fixés sur elle.
En tout cas, elle en avait l'impression. Elle n'aurait pu en jurer.
L'autre mère tendit sa main libre et, l'index replié, lui fit gentiment signe de revenir. Ses lèvres décolorées articulèrent les mots Reviens vite, mais
aucun son ne sortit de sa bouche.
Coraline inspira profondément, puis fit un pas dans les ténèbres où murmuraient des voix étranges tandis que le hurlement du vent résonnait dans le lointain.
Tout à coup, elle eut la certitude qu'il y avait quelque chose derrière elle, dans le noir - quelque chose de très ancien et de très lent.
Le texte de Gaiman est finalement assez abstrait. Et c’est ainsi que l'envoûtement fonctionne, de Charybde en Scylla. Neil Gaiman va à l'essentiel, nous livre un squelette, une ossature solide et
inspirante, construite sur l’os, sans superflu.
Et le film, me direz-vous…
Tout commence avec ce générique, ces premières images percutantes, envoûtantes. La référence à Burton et Edward aux mains d'argent saute immédiatement aux yeux, sans parler de la musique
de Bruno Coulais qui, s'il zyeute souvent du côté de Danny Elfman, a - encore une fois - bien révisé son Benjamin Britten... Le genre de générique qui vous ferre immédiatement.
Le film traduit à la perfection la fascination vénéneuse, noire, oppressante que les parents alternatifs exercent sur Coraline. Car, comme dans tous les contes, la sorcière est en
embuscade, le chat noir rôde, les artistes de music-hall empaillent leurs chiens. Ah non, ça, ce n'est pas très courant. Pas plus que les acrobates dresseurs de rats savants, d'ailleurs. La
parenté avec Burton est aveuglante, il n’y a qu’à voir les éléments végétaux pas rassurants - ces gens-là ont une manière de représenter les arbres qui pourraient me dégoûter des balades en
forêt, si ce n'était déjà fait.
L'action se tend comme le fil de l'araignée, entre beauté et terreur, scènes loufoques et suspens à couper au couteau. À déconseiller aux plus jeunes. Petitou a fait quelques bonds. Si nous
avions vu ce film au cinéma, sur un grand écran, il m'aurait certainement arraché un bras... Nous dirons donc qu'à partir de 8 ans, c'est jouable. Mais surtout, chers adultes qui accompagnez avec
abnégation votre progéniture dans sa découverte de la création cinématographique, et regrettez parfois d'avoir si bon cœur, je vous jure que vous ne vous ennuierez pas (non, je n'ai rien contre Rebelle) ! Tout le monde en aura pour son argent, les grands et les petits, sans clins d'œil appuyés aux grands
(non, je n'ai rien contre Shrek), sans guimauve mystique (non, je n'ai rien contre
Brendan et le livre de Kells).
Coraline est, en un mot comme en cent, un pur moment de jubilation.
Je ne vous raconterai pas Miss Peregrine et les enfants particuliers, que j’ai lu en deux jours. N’insistez pas. Lisez plutôt le résumé de la quatrième de couverture, tiens !
Une histoire merveilleusement étrange, émouvante et palpitante. Un roman fantastique qui fait réfléchir sur le nazisme, la persécution des juifs, l’enfermement, l’immortalité.
Gnagnagnagnagna... Ah, l’indispensable résumé de la quatrième de couverture… Exercice de haute voltige ! Sauf qu'à mon sens, celui-ci n’a qu’un très lointain rapport avec l’histoire, à se demander si son rédacteur a seulement lu le roman jusqu’au bout.
Certes, il est question d’enfermement, d’immortalité mais point de réflexion sur le nazisme – convoqué ici de manière anecdotique, tant il est vrai que le nazi est un méchant très photogénique - et encore moins de réflexion sur la persécution des juifs – si ce n’est dans une scène où l’auteur frôle le (très) mauvais goût. À moins qu’il ne s’agisse d’une métaphore, mais si lourdingue que je me refuse tout simplement à l’envisager.
Mais alors, qu’est-ce qui se cache derrière cette énigmatique couverture, hein, hein ? Ne comptez pas sur moi pour soulever le moindre petit bout de voile sur cette histoire. Que dalle. D'autant que le livre est d'ores et déjà traduit dans une trentaine de langues (si, si !), c'est dire si c'est une découverte... L’intrigante photo de couverture devrait d’ailleurs suffire à vous mettre l’eau à la bouche. Regardez bien les pieds de la fillette, à quelques centimètres du sol, son regard fatigué, ce sérieux qui colle si mal à son âge...
Le texte seul ne brillerait pas par son originalité. Il brode autour de thèmes maintes fois abordés ailleurs : des enfants doués de pouvoirs particuliers, des créatures effrayantes, la quête de la vérité, un voyage dans le temps, une histoire d’amour… Mais qu’est-ce que je raconte ? Oubliez immédiatement ce que vous venez de lire !
Non, ce qui m'a scotchée à mon hamac, c'est la maîtrise dont Ransom Riggs fait preuve pour son premier roman. 433 pages construites selon un scénario implacable, avec rebondissements et crescendo final – un bon film. D'ailleurs, ce serait pour 2013, avec Tim Burton dans le rôle du réalisateur ! Ransom Riggs est un vrai page turner à l’américaine (pléonasme), le genre d'auteur que vous suppliez de vous laisser aller faire pipi à la page deux cents, que vous implorez cent pages plus loin de vous permettre de souffler un peu vu que le hamac est désormais au soleil et que je crame. Il y a du métier derrière tout ça, une technique impeccable, un pragmatisme d’horloger, un art qui ne laisse deviner ni ficelle ni échafaudage. Une fois que Miss Peregrine aura refermé ses serres sur votre nuque, vous comprendrez ce que je veux dire…
Mais l'idée géniale de Miss Peregrine repose sur les photos, qui illustrent le livre de leur glaçante étrangeté et lui confèrent un réalisme inattendu.
Des photos que j’ai crues réalisées pour le livre, naïve que je suis, mais qui sont en réalité d’authentiques clichés, trésors de collectionneurs. Une fois intégrés à l’intrigue, de bizarres au premier abord, ils deviennent saisissants, mettent mal à l’aise et les moins spectaculaires feront courir de délicieux frissons le long de votre échine enduite de crème solaire…
De ces images est née l'histoire, de ces enfants à mi-chemin entre Freaks et Edward Gorey. Edward Gorey que Riggs cite volontiers, comme une parenté qu'il partagerait avec Burton et qui me ravit au plus haut point."I was thinking maybe they could be a book, like 'The GashlycrumbTinies' ", he said "Rhyming couplets about kids who had drowned. That kind of thing." (Los Angeles Times, 17 mai 2011)
Voilà, j’espère avoir été assez confuse pour vous donner envie d’aller voir Miss Peregrine et les enfants particuliers de plus près. Mais pas trop près, on ne sait jamais…
Il n'y a guère que Petitou pour se réjouir du couperet qui tombe, du cartable prêt à reprendre le chemin de l'école, fièrement campé sur ses bruyantes roulettes. Il y a pile quarante ans de cela,
mes chers parents avaient eu l'idée saugrenue de m'abandonner lâchement à la porte d'une école maternelle, sas d'entrée vers un univers impitoyable. J'allais passer de l'autre côté du miroir,
quitter la terrasse vertigineuse des étés où se côtoyaient le tricycle et la maison de poupées, pour me jeter dans la cour de récréation, avec le sublime jeu d'escalade en béton, le sable
grattouilleur, les genoux couronnés, le tablier à carreaux, le chevalet à peinture...
Il y a presque quarante ans de cela, on m'offrait ce livre - parce que, décidément, je devais faire trop la gueule devant la porte en question - en réalité, je vomissais consciencieusement dans
le caniveau tous les matins.
Dans ce délicieux album orange, Nathalie non plus n'est pas follement jouasse à l'idée de renoncer à la liberté, elle tire carrément
la tronche. Pour tout dire, elle y mettrait même une certaine mauvaise volonté... Inutile de vous dire à quel point je la comprenais... Mettez-vous à sa place. Tout le monde a l'air de s'amuser
follement, ou tout du moins de trouver normal d'être là.
Mais tout s'arrangera vite grâce au talent de la jolie institutrice à chignon... L'histoire est gentillounette mais les couleurs ultra-vitaminées et le trait si caractéristique de l'époque font
tout le charme de cet album que je conserve avec amour au milieu de mes présssssieux.
Au fait, quarante ans plus tard, je suis toujours là, à l'école, mais de l'autre côté du bureau et pas fâchée d'y être, en plus !
Moi, j'aime l'école
Jean Conder Soule
illustrations d'Aliki
éditions des deux coqs d'or, 1973
Et tant que nous y sommes...La rentrée scolaire, la rentrée littéraire et ses centaines de romans... Mais il y a aussi, schlurp miam ! de nouveaux albums à se mettre sous la dent ! En
voici quatre qui m'ont fait de l'oeil et que j'attends avec l'impatience du loup planqué dans le lit de la mère-grand, sa charlotte sur la tête...
Ma jungle - Antoine Guilloppé - éditions Gautier Languereau
Nacéo - Pittau et Gervais - éditions les Grandes Personnes
Monsieur Licorne - Marie-France Chevron et Nicolas Gouny - éditions Chocolat
La fille du Samouraï - Fred Bernard et François Roca - Albin Michel Jeunesse
Mais en réalité, il y a un cinquième album...
Je ne vous en livrerai pour l'instant qu'un petit morceau.
Un petit bout de la couverture comme on regarderait par le trou de la serrure pour surprendre le Père Noël...
Les habitués du Cabas reconnaîtront immédiatement le héros de ce livre dont je vous reparlerai bientôt.
Feuilletez l'album à la recherche du mode d'emploi, limpide et bien écrit, accessible à tous, un modèle du genre.
Munissez-vous d'un ordinateur et glissez le cd-rom dans le tiroir prévu à cet effet.
Écrivez un des mots présents dans l'imagier papier.
Un exemple - mon préféré - le pommier.
Tapez pommier puis le nom d'une saison et vous obtiendrez, selon vos envies :
Jouez l'accumulation pour obtenir une forêt d'automne :
Cette forêt pourra être peuplée d'animaux, agrémentée de plantes, envahie de voitures et autres tracteurs, même si ça finit par être un joyeux foutoir... Pour peu que vous ayez l'âme bucolique,
vous pourriez même y organiser un pique-nique !
Appelez alors le marmiton et laissez-lui les commandes (si l'on considère le côté addictif de l'entreprise, ce n'est pas la phase la plus facile...). En quelques minutes, il obtiendra (fièrement)
ceci :
ou ceci :
Les amateurs de livres-où-on-apprend-des-choses-alors-c'est-bien, y trouveront leur compte. Le marmiton devra écrire sans erreur le mot qu'il veut voir se matérialiser sur l'écran. De
petits rappels aux bonnes manières sont prévus, comme les marques du pluriel, par exemple. Et là je glisse un bémolounet : les plus jeunes risquent de trouver l'exercice un poil
fastidieux. C'est alors que le parent ou grand-parent aux aguets, n'écoutant que son courage, viendra écrire pour lui les mille et une merveilles de tip tap. Avant, sans
doute, de lui rappeler que "non vraiment c'est l'heure de la sieste", histoire de pouvoir continuer à créer tranquillement son jardin extraordinaire, tout seul, sans mignonne mimine pour
parasiter le clavier de l'ordinateur...
Pour ma part, je retiendrai de cet imagier, la magie, justement. Voir s'animer les personnages , virevolter les oiseaux, grouiller les mille-pattes, pétarader les véhicules... Faites-moi
confiance, vous allez vous retomber illico en enfance, vous lécher les dix doigts et le pouce !
Pour avoir une petite idée de la préparation de la tambouille,
voyez ce petit film :
tip tap, mon imagier interactif
Anouck Boisrobert & Louis Rigaud
Hélium, 2011
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et celui-ci pour lire le billet de Mel de la Soupe de l'espace !