mes petites bêtises # 2
Voici ma première participation à l'atelier d'écriture de Leiloona. En passant, je ne saurais trop vous conseiller la lecture de son excellent blog Bric à Book ! Le principe de l'atelier est simple : une photo, quelques mots. Mon premier texte a été inspiré par cette photo de Romaric Cazaux.
photo Romaric Cazaux
Elle avait dit : « Je pourrais tuer quiconque essaierait de nous séparer. Je n’ai jamais fait de mal à personne, mais un mot, un geste, un doute, et je pourrais étrangler le conspirateur, lui faire avaler ses paroles, bien profond. Je pourrais le jeter du haut de la falaise, là où les calanques plongent, où on ne revient pas du vertige. »
Il avait passé un bras autour d’elle, sans rien dire.
« Regardez ailleurs et laissez-moi le regarder. »
Elle avait alors plongé dans l’eau glacée de ses yeux, sans vergogne, en dégustant chaque goutte. Elle s’était collée à lui, chacun formant le rempart de l’autre. Le genre de tableau qui irrite les culs serrés, qui affole les culs bénis. Elle avait le chic pour savoir ce qui choque. Mais elle ne faisait pas semblant.
« Que m’importent les ans et le regard des autres,
Que m‘importent les ans, la raison et vous autres,
Que m’importent les ans et ce qui nous sépare,
Que m’importent les ans, le diable vous emporte,
Peu m’importent les ans et la mort, vaste blague. »
Et puis encore une photo du même photographe, une cour vide.
Vide mais habitée.
Tout le monde est parti.
Il n’y a plus personne.
Le linge est resté tel quel, il est sec depuis longtemps. Lorsqu'on a appris la nouvelle, il était trop tard pour faire les valises, pour prendre le temps d’emporter quoi que ce soit. Il fallait fuir. Au plus vite. Alors, on a tout laissé. Les fenêtres sont restées ouvertes, on a abandonné les chaises. Hier encore, on discutait à la fraîche, on riait comme si ça ne pouvait pas être possible. On n’y croyait pas. Pourtant on en avait vu passer, fantômes silencieux entraperçus parfois à la tombée du jour.
Mais le nuage a fini par arriver, poussé par des vents scélérats qui n’épargnaient personne, ni les bêtes, ni les gens. Les premiers signes étaient discrets. Des oublis, des étourderies qui souvent passaient inaperçus, puis la mémoire qui finissait par s’effilocher, partir en lambeaux. Personne n’en mourait, c’était inutile. Les victimes du nuage se vidaient de leur substance. Ne demeuraient alors que deux bras prêts au travail sans jamais rechigner, deux jambes aptes à marcher jusqu’à l’épuisement.
Alors on est partis.
Je n’ai pas eu le temps de terminer de couvrir le toit de ma maison. Je n’ai pas eu le temps de m’y installer. Je n’ai pas eu le temps d’épouser ma promise. Je le ferai plus tard.
Parce qu’on reviendra, un jour.
Parce que tout a une fin.
Le meilleur et le pire.