La pie a une sale réputation : voleuse, bruyante, agressive avec ses congénères.... Qui se soucierait de cet oiseau peu sympathique si ce n'est Manu, bienveillant petit bonhomme, tranquille et heureux, planté dans une famille un peu hors norme. Et Gipsy la pie rentre dans cette famille, la fait sienne. Elle fait sienne aussi le voyage. Pas besoin de nid, pas besoin d'entasser, de garder. Du coup, on n'a rien à défendre, si ce n'est l'essentiel, sa liberté.
Marie-France Chevron nous offre un texte émouvant et beau, une histoire d'amitié et de vent, où l'oiseau n'appartient pas à l'enfant, il l'accompagne, simplement. C'est un texte simple et fluide comme le vol de la pie.
Pourtant, je n'emporte rien avec moi que mes rêves et mes souvenirs. Je me nourris de ce que je trouve sur le chemin.
Je me nourris aussi de la liberté d'aller et venir où bon me semble.
On n'a pas besoin de plus pour vivre bien.
Et puis il y a le travail de Mathilde Magnan, qui insuffle une vie incroyable à cette pie ! Madame Magnan étant une aimable personne, elle a bien voulu répondre à quelques questions. C'te chance !
Quelle a été la genèse de cet album, ta rencontre avec le texte – magnifique - de Marie-France Chevron ?
Eh bien c'est un soir de mars (donc il n'y a même pas un an!) que j'ai reçu un mail de Marie-France me demandant si je cherchais toujours des textes à illustrer, j'ai dis que voui, surtout les siens, et hop voilà t'y pas que je reçois Gipsy dans ma boîte mail ! Le texte était quasiment ce qu'il est aujourd'hui, l'histoire m'a beaucoup plu et beaucoup touchée. Alors j'ai dit ouiouioui mais à condition qu'il y ait beaucoup beaucoup de pie et pas trop trop d'humains ….
Après le héron, la pie ! Je m’égare ou tu aurais un goût particulier pour les oiseaux…
Ah bon ? Ça se voit tant que ça ?? Plus sérieusement, j'aime effectivement beaucoup dessiner les oiseaux, mais beaucoup d'autres animaux ou insectes aussi !
Je ne saurais trop te conseiller, lecteur chéri, un petit tour sur le site de Mathilde Magnan, tu t'y régaleras de ses illustrations documentaires & nature, un vrai bonheur légumier, floral, insectifère, voire même champignonnier !
J’ai été frappée par la différence de traitement entre le dessin de la pie, vif, acéré, et celui des humains, en tout cas les adultes, plus indistincts, presque flous. Me trompe-je ?
Heuuu non, point du tout... Tu touches ici un point sensible, je me débrouille beaucoup mieux avec les bestioles qu'avec le genre humain d'une manière générale (sauf quand je me concentre furieusement et que je m'applique, comme pour la dernière double page par exemple). Mais outre le fait que j'ai plus de mal avec un corps humain qu'avec des centaines de plumes, c'était aussi voulu que le traitement de la pie soit différent du reste. C'est elle qui raconte, c'est elle qu'on suit et c'est par ses yeux que l'on rencontre cette famille et son histoire.
Tu utilises ici une palette de couleurs peu commune dans la production d’albums jeunesse…
Ah … ! J'avoue que je ne connais pas non plus toutes les parutions en éditions jeunesse, mais les couleurs (et même si dans le Héron et l'Escargot il y en a beaucoup moins que dans Gipsy finalement), c'est un peu ma façon de présenter les choses, comme une marque de fabrique. J'ai appris assez vite (surtout dans les cours d'atelier BD que j'ai suivi à St Luc à Bruxelles pendant trois ans) à me l'approprier, plutôt qu'elle reste « l'obligée » de ce qu'elle colore. Je veux dire par là que très vite mes arbres n'ont plus été marron et vert, mon ciel bleu, mon soleil jaune et ma peau rose... J'aime jouer avec les couleurs, les contrastes, bidouiller mes palettes... Des fois je me surprend toute seule à mettre des couleurs que je n'aurais pas choisi d'entrée de jeu (les roses surtout …), faire qu'on lise et découvre l'image par d'autres « codes » que celui des couleurs « conventionnelles ».
Quelles sont les différentes étapes de la création d’une de ces images, les techniques utilisées ? Dans quelle mesure utilises-tu l’ordinateur ?
Hinhin, c'est un secret ! Enfin pas trop, vu que je l'explique lorsque je rencontre des classes, donc, bon, hein …
En gros, j'ai le dessin (taille réelle du livre voire plus grand, réalisé à la mine 0,3 d'un critérium – oui ça fait long pour les poils du chien – et au crayon gris 5B) d'un côté, et les fonds (lavis, pigments, café, thé, encres, terre...) de l'autre et je réunis les deux sur ordinateur. C'est donc un outil plus qu'une fin en soi, ça me permet de me tromper, de changer de fond, de couleurs, de taille... sans avoir à tout recommencer !
Comment se passe le travail avec l’éditeur, en l’occurrence Jean Poderos des éditions Courtes et Longues ? Y a-t-il eu des modifications dans le texte, les images ?
Déjà ça se passe bien ! Et c'est en soi le plus important... Sinon, il y a beaucoup d'échanges. Ici le texte a été un peu modifié mais pas beaucoup. Il a vu ça avec Marie-France, il me semble, une fois que les illustrations étaient terminées. Pour les images, je lui ai d'abord envoyé un chemin de fer de tout l'album avec des petites vignettes pour chaque planches. Nous en avons discuté pour être bien d'accord tous les deux sur le même chemin à suivre, et une fois que c'était ok, je lui envoyais les planches une par une. Il y a eu des fois quelques modifications à faire (notamment sur celles avec de l'humain dedans, on ne se refait pas …), et d'échanges en échanges on fini par mettre tous le monde d'accord. Jean Poderos est quelqu'un avec qui l'on peut discuter et argumenter sans qu'il y ait de malaise ou de malentendu.
Qui a décidé de la silhouette finale de l’album, notamment de l’intrusion du texte dans les images, des différentes tailles de lettres ?
Pour Gipsy, c'est Jean Poderos qui a fait appel à Sophie Dupriez pour la mise en page du texte, c'est elle qui a choisi ces différentes polices et ces choix de tailles de typo. C'est chouette de voir ce qu'une autre personne à en tête pour un projet sur lequel on planche depuis plusieurs mois. J'étais très curieuse du résultat - que j'ai vu avant parution bien sûr ! On en discuté aussi pas mal. Pour le Héron c'était moi qui avait aussi fait la mise en page du texte, mais c'est une bonne expérience d'apprendre à « lâcher son bébé » de temps en temps aussi !
Qui sont tes modèles parmi les illustrateurs classiques, qui sont tes insurpassables ?
Huuum Quentin Blake, même s'il est aussi actuel (mais pour moi il fait partie de mon enfance), beaucoup d'illustrateurs Russes (mais je suis archi-nulle pour retenir les noms), comme par exemple celui de « Michka » (Rojankovsky). Eva Eriksson aussi, Babette Cole, Kazuo Iwamura (La Famille souris), tous ont bercé mon imaginaire d'enfant... Dans les plus vieux, je penche aussi sur Benjamin Rabier, Gustave Doré... Il y en sûrement d'autres (sans doute je m'en souviendrai cette nuit!)
Ah si, et Fmurr, Gotlib, Fred et cie … Merveilleuse époque plongée dans les Pilotes chez ma grand mère !
Et dans la production actuelle ?
J'aime beaucoup le trait et l'imaginaire de Gilles Bachelet, je suis fascinée par les images d'Antoine Guillopé, le noir et blanc est un domaine qui m'attire et qui m'effraie un peu aussi (mais ça chemine doucement), j'aime énormément Wolf Erlbrucht, Einar Turkowski (que j'ai découvert dans ton cabas*), Olivier Tallec, Pef (mon enfance montrepoilutesque), Isabelle Simler, Kris Di Giacomo, Pierre Déom (de la Hulotte)... j'en oublie des tas, la liste est sans fin !
Quel serait ton album idéal – existant ou encore à créer ?
Ouhla ! Là, je ne sais pas quoi répondre ! Je crois que je n'ai pas d'idéal d'album, le monde bouge et évolue dans tous les sens et tout le temps, et qu'heureusement il reste des tas d'albums idéaux à créer !
Merci Mathilde d'avoir pris le temps de rendre une petite visite au Cabas !
Gipsy
Marie-France Chevron & Mathilde Magnan
éditions Courtes et longues
février 2014
La librairie du Pouzadou se trouve au Vigan (Gard).
Il est même plus que temps ! Plus tard serait trop tard. Oui, chers confrères aujourd'hui réunis, il est urgent d'étudier ce cas étrange et qui défie toute logique : le cas Mathilde Magnan.
Voici, messieurs, mesdames, une jeune femme qui l'air de rien, en s'excusant presque, vient de balancer un album dans la mare, qui dis-je, un pavé dans le marigot !
Armée de son seul crayon, mais encore nous faudra-t-il un jour examiner le-dit crayon, mademoiselle Magnan vient de donner vie à un héron. Un héron cendré, ardea cinerea de la plus belle espèce,
qui semble à chaque page s'affranchir du papier, un oiseau qui nous scrute de son oeil vif avant de s'envoler. Chaque double-page, impeccablement construite, nous le donne à voir sous un angle
différent, la patte affûtée, l'aigrette insolente. Le crayon précis des plumes contraste avec un arrière-plan juste esquissé, parfois abstrait, diffus, aux couleurs automnales évoquant la terre,
la feuille morte. Et que dire de cet escargot, passablement ahuri, cet escargot au pied si réalistement rendu, aux replis peu ragoûtants - quoique alléchants pour certains. N'oublions pas le
texte qui se balade au gré des pages, élégamment vêtu d'une police d'écriture tout à fait dans le ton.
Alors, comment tout cela est-il possible, chers confrères ? J'avoue n'y rien comprendre. Ah, mes infortunés amis, je vous dois la vérité. Ce n'est pas un cas mais deux que je soumets à votre
sagacité. Car ces animaux parlent. Oui, m'entendez-vous, ils parlent ! Grâce à Marie-France Chevron, ces bestioles s'expriment comme vous et moi. Enfin mieux que vous et moi, car ils manient la
rime avec élégance et choisissent leurs mots avec plus de soin que vous n'en apporterez jamais, le matin, au choix de votre cravate. Dans un vertigineux procédé, le héron et l'escargot dialoguent
à travers la voix d'une grenouille qui conte leur histoire. Et quelle est cette fable que leur souffle Marie-France Chevron ? Que la loi de la nature, aussi dure soit-elle, demeure intangible.
Qu'un héron, fût-il oiseau de papier, n'en demeure pas moins un prédateur. Qu'un escargot, même s'il a eu le bonheur de s'envoyer en l'air avant son trépas - et vous me pardonnerez ce trait
scabreux - n'en demeure pas moins comestible.
Voilà pourquoi je vous ai réunis. Pour que vous m'aidiez à comprendre par quel miracle ces deux personnes, par ailleurs tout à fait respectables, ont réussi ce genre d'album à la fois classique
et terriblement moderne. Il faut évidemment associer à ce travail magnifique leur éditeur audacieux autant qu'il est exigeant. Pour terminer, je vais faire circuler parmi vous mon propre
exemplaire de cet album. Avant de l'ouvrir, vous veillerez, s'il vous plaît, à vérifier que vous avez les mains propres.
Toujours à la limite du pas possible, en équilibre précaire au bord du bizarre, le regard aux aguets mais l'air de pas y toucher quand même.
Des licornes, on en a croisé des bataillons dans les contes, les romans, sur les tapisseries même ! Elle sont généralement élégantes et fine, un peu hautaines aussi. Des comme ça, moi, je n'en
connaissais pas. Mais à force d'être unique, c'est des coups à se retrouver seul, à la fin.
Armé d'une fleur qui a tout d'une baguette magique, le voici débarquant sur Terre à la recherche de... À la recherche de quoi, d'ailleurs ? De la même chose que chacun d'entre nous. Enfin vous,
je ne sais pas... La musique qui fait danser, le bonheur, mais surtout quelqu'un avec qui partager tout ça. Il ne cherche pas son semblable, non, il cherche quelqu'un d'autre.
Il y a de la grâce dans le texte de Marie-Franche Chevron, dans l'élégance de ne pas s'apesantir sur les sentiments qui, du coup, rebondissent comme Monsieur Licorne, d'un continent à l'autre. De
temps en temps, une phrase fait mouche et on se la répète comme un précieux viatique...
Le bonheur ne se fabrique pas, cher Monsieur, il se cueille.
Ou plus loin...
Pour trouver, cher Monsieur, il est parfois nécessaire d'arrêter de chercher.
Vous vous doutez bien qu'armé de tels conseils, Monsieur Licorne finira par trouver... une vraie fin de conte !
Et pendant ce temps, dans un coin, profitant de ce qu'on ne s'occupait pas d'eux, des animaux ont gagné joyeusement les frontières de l'abstraction..
Visez un peu l'oiseau qui tient quasiment autant
du poisson plat que de l'abeille...
Et là, dans le coin, ce ne serait comme un hommage discret mais visible à ce cher Pomelo ?
Un petit bémol de rien mais qui ne tient ni à l'auteure ni à l'illustrateur : cet album est trop petit ! Les couleurs de Nicolas Gouny auraient mérité quelques centimètres de plus !
Et ce petit bijou de rejoindre direct l'étagère de mes préssssieux !
Qu'ajouter de plus au cri du coeur de Petitou ? Voici un album à lire de votre voix la plus douce, pour ne pas effrayer la délicate Mee, près de son arbre... Mee attend, cherche une maman, un
papa. Comment les trouver quand on ne sait pas trop à quoi ça peut ressembler ? Et puis le vent, la mer, les étoiles la guident vers les bras qui l'attendent, vers sa seconde naissance.
Les dessins d'Agnès Domergue sont aussi délicats et élégants que le texte de Marie-France Chevron. Mee est un album poétique qui se déroule au fil des pages comme un ruban de soie.
Une belle réalisation des éditions Limonade : le papier, la couleur, tout y est !