Laissez passer !
Mais poussez-vous !
Faites place !
Voici un album vivant !
Oui, vivant !
Peut-être ce temps derniers ai-je eu ma dose de lectures dépressives, grises à pleurer. Je suis donc entrée dans la chambre de Petitou en catimini et j'y ai volé ceci :
Un bel album, un qui explose de couleurs et de formes, un généreux, pas regardant à la dépense d'énergie, un qui vous fera sursauter au détour de chaque page, surpris que vous serez par le
souffle et la joie qui se dégagent des illustrations. Merci monsieur Pillot ! Lulu a grandi et ce n'est que justice. Cet album-ci a gagné quelques centimètres sur les précédents. Mais j'aimerais
que les albums de Frédéric Pillot soient encore plus grand !
L'histoire voit une fois encore notre adorable Lulu aux prises avec l'affreux lièvre Rien-ne-sert et ses oreilles bleues. La vilaine bestiole veut quitter le pré qu'il juge pollué, moche, sale,
bref, c'était mieux avant. Pour ce faire, il a fabriqué un genre de fusée de bric et de broc... Je n'épiloguerai pas sur le texte de Daniel Picouly, dont la rime obligatoire contraste avec
l'allégresse du dessin, dont les clins d'oeil appuyés au lecteur finiraient par empâter l'histoire. Trop de connivence finit par nous tenir à l'écart des mots. Mais peu importe, car tourner la
page est déjà une aventure, avec le risque de se manger un vol de couleur en pleine figure.
Notre épatante tortue évolue dans un pré grouillant de monde. Et c'est là que le talent du sieur Pillot vous saute aux mirettes. Allez, laissez-vous faire...
Celle-ci, je vous l'ai choisie pour ce coin-là en particulier :
C'est pas vivant, ça ? Osez me dire le contraire ! Ce fouillis organisé, l'escargot qui ne va pas manquer de se casser la gueule dès qu'on aura tourné la page, l'araignée au travail, les feuilles
du chêne bruissantes de brise printanière !
Toujours pas convaincus ? Que dites-vous de ces deux pages-là ?
Tout ce petit monde tourné vers la bizarre machine volante emportant les héros vers un ciel qui ne va pas manquer de se charger de nuages d'un bleu menaçant, je ne vous dis que ça...
Les ombelles précieuses,
le genre de fleur qu'habituellement on regarde à peine,
tant elle est commune...
La fleur de trèfle,
celle-là même que j'extermine allégrement
avec ma bruyante tondeuse à gazon !
C'est malin, maintenant, j'ai honte...
Surtout si elle abrite ce genre de délicieuse chenille !
Les délicats boutons d'or*,
les frêles marguerites !
J'ai aussi un vrai faible pour la coccinelle dodue,
assise au bord de son brin d'herbe, toute pensive...
Le pré vu à hauteur d'insecte !
Inspecter chaque recoin, admirer chaque détail y passer trois plombes... On ne s'y ennuie pas une seconde, car la redoutable vitalité du dessin est doublée d'un humour dévastateur. En voici pour
preuve un autre thème qui m'est cher dans l'oeuvre de Frédéric Pillot, j'ai nommé : l'oiseau.
L'oiseau pillotien est une somme, une quintessence d'oiseau. Car s'il n'est pas aisé d'en distinguer l'espèce, cet oiseau représente un résumé de l'oiseau en général, du piaf de nos campagnes,
celui qu'on ne désigne pas par le nom de son espèce, celui qu'on appelle juste l'oiseau - voire cette saleté d'oiseau s'il est quatre heures du matin.
Il est rond, d'une rondeur encore soulignée par son regard parfaitement ahuri. Il est bouffi de plumes, possiblement crétin, en un mot, parfaitement réjouissant. J'en ai chopé isolé quelques spécimens remarquables, régalez-vous ! Non, ce n'est pas pour manger ! Lâchez-moi ça tout de suite ! Mais ça va pas ? Ça se plume
avant !
Voilà, voilà...
J'espère que mon petit exposé vous aura convaincus de vous jeter sur les albums de Frédéric Pillot, la série des Lulu, les Raoul Taffin et les
autres !
Le voyage de Lulu
Daniel Picouly & Frédéric Pillot
Magnard Jeunesse, 2011
*Au passage, je dédie cet article à ceux/celles pour qui Bouton d'Or
n'est pas qu'un nom de fleur...