Баба-Яга / baba yaga # 1
Le conte de Baba Yaga est un classique parmi les classiques Des adaptations de ce conte russe, dans toutes ses versions paossibles, il y en a des charrettes. On en connait les figures imposées : la maison montée sur pattes de poule (flippant), le mortier ambulant à propulsion de pilon (pas rassurant), les chiens féroces (j'aime pas), le portail qui grince (pour l'ambiance), le bouleau taquin (ouille !)... Mais ce que je préfère, j'avoue, ce sont les crânes aux yeux ardents, dans le genre déco joyeuse, on n'a guère fait mieux depuis.
J'en ai quatre versions sous le coude, je vous propose donc d'aller allègrement à la rencontre de l'ogresse, passez devant, je vous suis.
Parce que la première, c'est celle d'Ivan Bilibin (1876-1942).
Une économie de moyens admirable, blanc et noir, rouge, brun, vert, pas de fond, de décor, chaque élément codifie le texte comme un pictogramme. Le dessin participe de la mise en page, gagne le texte parfois pour lui laisser ensuite toute la place. La couverture rassurante semble présenter le conte comme cette petite chanson qui accompagne la ronde. On dirait qu'il y aurait une sorcière, mais on sait au fond que ça n'existe pas.
Le texte de cet album est proprement surprenant. Il s'agit d'une traduction du conte russe de 1932 qui accompagnait l'édition américaine, l'album du Père Castor était, pour sa part accompagné d'un texte de Rose Celli qui sera ensuité réédité deux fois mais avec d'autres illustrations chaque fois. La version russe, donc, de Nadiejda Teffi, traduit par Françoise Morvan est une pure merveille, faite pour être entendu, même par soi-même si l'on est seul.
Lisez-le à haute voix si vous le rencontrez, c'est une surprise permanente. Des phrases qui roulent seules, dans une langue collant à l'oralité, ménageant le suspens de la poursuite, savourant les échanges de Baba Yaga avec ses serviteurs si mal traités.
A peine a-t-elle touché l'herbe que la serviette se déploie en rivière large, large comme la mer - même en trois jours, on ne la passerait pas.
Arrivée au bord de la rivière, la Yaga regarde... Que faire ? En mortier de cuivre, comment naviguer ? Elle grince des dents, cogne du pilon, rebrousse chemin, et roule et roule, rentre chez elle, rassemble ses boeufs, les mène à la rivière et leur ordonne de boire.
Ils ont bu, les boeufs, ils ont bu, ils n'ont pas laissé une goutte dans la rivière.
C'est dans ce contraste entre la rudesse des mots et la sobriété des images, c'est dans cet espace que se loge le travail du lecteur qui fera le lien, remplira les vides laissés volontairement. C'est aussi ce qui rend cet album - créé il y a plus de quatre-vingts ans - résolument moderne, intemporel, indispensable.
Pour en voir plus, rendez-vous sur l'excellent site de Cligne-Cligne Magazine !
Baba Yaga
dessins de Nathalie Parain
première édition en français : Père Castor-Flammarion, 1932
texte de Nadiejda Teffi, première édition en russe : YMCA-Press, 1932
traduction de Françoise Morvan
éditions MeMo, septembre 2010