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roald dahl

les minuscules

Publié le par Za

Il y a ceux qui ont lu Tobie Lolness avant, ceux qui l'ont lu après, ceux qui ne connaissent pas ce texte de Roald Dahl, ceux qui ne peuvent envisager pas qu'il n'ait occupé un coin de l'esprit de Timothée de Fombelle. Je suis de ceux qui pensent qu'en matière de littérature, on n'invente rien ou si peu, qu'on récolte ce que d'autres ont semé et que c'est très bien comme ça, qu'il y a des filiations entre auteurs, à suivre comme des fils d'Ariane.

Les Minuscules (The Minpins) est le dernier texte de Roald Dahl. Il sera publié en 1991, un an après sa mort. C'est l'un des seuls livres qui ne sera pas illustré par Quentin Blake, ce qui aurait pu m'attrister un brin...

 

les minuscules

La forêt est le lieu fantasmatique par excellence. La sagesse populaire sait qu'il est dangereux d'y trainer, petit pot de beurre ou non. Alors lorsque la mère de Petit Louis (Little Billy) lui interdit absolument de pousser la porte du jardin, d'aller voir ce qui se trouve au-delà de la nature domestiquée, la tentation est trop forte. La forêt est parée de tous les  mystères. Jusqu'à son nom, la Forêt Interdite, qui est une provocation. Dès la première page, on sait que Petit Louis désobéira à sa mère et sera livré à la bête mythologique, comme Poucet et tant d'autres avant lui, sans quoi il n'y aurait pas d'histoire.

Gustave Doré - Le petit Poucet

Gustave Doré - Le petit Poucet

L'inévitable prend ici la forme d'un dragon invisible, crachant une fumée brûlante, une haleine empoisonnée. On lui avait donc dit vrai ! Petit Billy ne devra son salut qu'aux branches basses d'un arbre qui lui tend les bras pour qu'il grimpe jusqu'à la cime. Et c'est là que survient l'incroyable, la rencontre avec le petit peuple de l'arbre, une minuscule société, confortablement installée au creux de l'arbre, ne posant jamais le pied au sol. Petit Louis découvre là une civilisation entière, cachée, vivant en symbiose avec les oiseaux. Débute alors une aventure haletante.

Les Minuscules est un de ces trésors de l'enfance absolument indispensables, vraiment à part dans l'oeuvre de Dahl, car débarrassé du côté grinçant des ses romans et nouvelles. Le recul est à chercher dans l'appropriation des mythes et classiques : le dragon, la forêt, David contre Goliath, le Petit chaperon rouge, jusqu'au Merveilleux voyage de Nils Holgersson de Selma Lagerlöf. Dahl affirme ici le pouvoir de l'imagination de l'enfant contre la rationalité de l'adulte, mais surtout il nous parle de l'enfance qui s'éloigne, à l'image du cygne qui bientôt ne pourra plus porter Petit Louis sur son dos.

Les illustrations de Patrick Benson renforcent la délicatesse du propos. Au plus près des Minuscules, il nous montre leurs intérieurs douillets, le foisonnement de l'arbre, la présence du monstre à travers ses exhalaisons enflammées. Le dessin à la plume est précis, vivant, d'une grande bienveillance, mais sait se mettre au diapason de l'aventure.

Je m'en voudrais d'oublier ici l'élégante traduction de Marie Farré qui donne à ce texte toute la fluidité nécessaire à la lecture à voix haute qu'on ne manquera pas d'offrir aux plus jeunes.

J'ai lu ce texte dans l'édition de 1991, un album de format moyen qui rend justice aux illustrations. On le trouve aujourd'hui dans une édition de poche nettement moins confortable.

Voir ici la lecture qu'en fait Céline.

 

Les Minuscules (The Minpins)

Roald Dahl

illustré par Patrick Benson

traduction de Marie Farré

publié en 1991

par Jonathan Cape Ltd pour l'édition anglaise

Gallimard pour l'édition française

Folio Cadet

 

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Roald Dahl par lui-même

Publié le par Za

En 1984, du haut de ses soixante-huit ans et de son mètre quatre vingt-dix-huit, Roald Dahl s'est penché sur son enfance. Dans le préambule, il prévient son lecteur: ceci n'est pas une autobiographie. Seuls sont ici consignés ses souvenirs les plus marquants, doux, cruels, douloureux, drôles...

 

 

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C'est ainsi qu' il signait ses lettres à sa mère: "Boy". Il était son seul fils, son seul garçon, l'aîné de trois soeurs. Un père disparu très tôt, une jeune mère, norvégienne, étrangère au pays de Galles, à la tête d'une grande famille comprenant ses propres enfants et les deux grands enfants de son mari, orphelins de mère... Une enfance heureuse pourtant, marquée par de belles et grandes vacances en Norvège, tous les ans.

 

Interne dès l'âge de neuf ans, il nous livre ici un portrait sinistre des pensionnats britanniques. Une communauté de garçons, souffrant de la faim, du froid, du manque de considération. Ici, il n'est plus question d'enfance du tout, tant le traitement infligé à ces jeunes garçons ne peut être qualifié d'éducation. Ces lieux sont peuplés de personnages inquiétants, au côté desquels on pourrait sans problème ranger la Mademoiselle Legourdin (Miss Trunchbull) de Matilda.

"Derrière la moustache [du capitaine Hardcastle, professeur à St Peter], un visage brutal au front bas et sillonné de rides profondes, qui trahissait une intelligence des plus limitées. "La vie est une énigme, semblait dire le front plissé, et le monde un endroit dangereux. Tous les hommes sont des ennemis et les petits garçons des insectes qui vous agressent et vous mordent à moins que vous ne preniez les devants pour les écrabouiller."


Roald Dahl s'étend longuement sur les châtiments corporels et s'en explique.

"Durant toues mes études, j'ai été horrifié par ce privilège accordé aux maîtres et aux grands élèves d'infliger des blessures, parfois très graves, à de jeunes enfants. Je ne pouvais pas m'y habituer. Je n'ai jamais pu. Il serait bien entendu injuste de prétendre que tous les maîtres à l'époque passaient leur temps à rouer de coups tous les petits garçons. Ce n'était pas le cas. Quelques-une seulement mais c'était bien suffisant pour laisser chez moi un sentiment d'horreur qui dure encore. Une autre impression purement physique subsiste encore chez moi. Même maintenant, lorsque je dois rester assis un peu longtemps sur un banc dur ou une chaise inconfortable, je commence à sentir mon coeur qui bat le long de ces vieilles cicatrices que la canne a imprimé sur mon derrière, il y a bien cinquante-cinq ans de cela."


Une autre idée terrible est l'impuissance de Mme Dahl a faire quoi que ce soit pour son fils, tant sa voix de mère sans mari n'a que peu de poids face à l'Institution. Roald Dahl ne lui en veut à aucun moment de l'avoir laissé là-bas. Comme ses camarades, il prend son mal en patience...

"Si je regardais par la fenêtre du dortoir, je voyais le canal lui-même, et la grande ville de Cardiff, avec Llandaff à proximité, se trouvait presque en face, légèrement au nord. Par conséquent, si je me tournais vers la fenêtre, je serais face à ma maison. Je me retournai dans mon lit pour me mettre face à ma maison et à ma famille.

A partir de ce soir-là, je ne me suis jamais endormi en tournant le dos à ma famille."


 Je suis toujours infiniment touchée de retrouver chez un auteur ou chez n'importe qui d'ailleurs, cette part d'enfance inchangée, cet enfant toujours là et bien là, qui transparaît derrière l'adulte et n'attends que l'évocation de souvenirs heureux ou douloureux pour refaire surface, tant il est vrai qu'il n'est jamais bien loin. La persistance de l'innocence ou de l'innocence perdue, la permanence de l'insouciance, de l'insouciance perdue...

 

Tous les thèmes chers à Roald Dahl sont en filigrane dans ces souvenirs. Un chapitre entier est consacré au... chocolat. Et, du coup, l'admiration que je lui porte (au cas où certains d'entre vous en douteraient encore) s'en trouve décuplée. Car Roald Dahl était un amoureux du chocolat, en fin connaisseur, comme on peut être amateur de Bordeaux ou de cantates de Bach. Comment le blâmer ?

 

"Boy" se termine au moment où Roald Dahl, avide de voyages lointains est engagé par la firme Shell. Il part au Kenya,  il a vingt-deux ans.

 

 

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C'est le point de départ d'Escadrille 80, second tome de ses souvenirs. Le récit de son voyage en bateau est un grand moment de drôlerie, une galerie de portraits d'Anglais "cinglés", comme il les qualifie lui-même.

"Miss Trefusis n'avait que la peau sur les os et, quand elle marchait, son corps était courbé en avant comme un boomerang. Elle m'apprit qu'elle possédait une petite plantation de café dans les hautes terres du Kenya et qu'elle avait très bien connu la baronne Blixen. J'avais moi-même lu et adoré à la fois Out of Africa et seven Gothic Tales, et j'écoutais avec ravissement tout ce que Miss Trefusis me racontait sur ce grand écrivain qui se faisait appeler Isak Dinesen.

- Elle avait un grain, bien entendu, dit Miss Trefusis. Comme nous tous qui vivons là-bas, elle était devenue complètement toquée à la fin.

- Vous n'êtes pas toquée, vous, déclarai-je.

- Si, bien sûr, répliqua-t-elle d'un ton ferme avec le plus grand sérieux. Tout le monde à bord de ce navire a la cervelle dérangée. [...] Les gens deviennent vraiment timbrés quand ils vivent trop longtemps en Afrique. C'est là que vous allez, n'est-ce pas ?"

 

De sa vie en Afrique, Dahl gardera une phobie des serpents. À le lire, il y a effectivement de quoi rester hanté à vie par la peur du mamba noir, ou vert, les deux étant également terrifiants ! Son regard sur cette nouvelle vie est d'une absolue fraîcheur, tout est découverte, émerveillement, une attitude à rapprocher de ses premier pas dans la guerre, dans l'inconscience totale du danger, de la proximité de la mort.

 

C'est au Kenya que la déclaration de guerre le trouvera, les yeux rivés au plafond de sa chambre, fasciné par les facéties de deux lézards nommés Hitler et Mussolini. Bombardé sous-officier sans la moindre expérience, il s'engage dans la Royal Air Force et mène son premier combat aérien après sept heures d'entraînement seulement...  La seconde partie du livre, consacrée aux batailles aériennes, m'est, je l'avoue, un peu tombée des mains.  Je me suis posé la question de la pertinence de la publication de ce texte en Folio Junior. Il comporte d'ailleurs une scène de décapitation au sabre assez réaliste. D'aucun me rétorqueront que nos chers petits voient sans doute pire à la télévision, mais ce n'est pas une raison suffisante à mes yeux. 

 

Il faut absolument aller visiter le site consacré à Roald Dahl, en particulier la section consacrée à l'auteur où l'on peut entendre une interview accordée deux ans avant sa mort. Il y parle de création, d'écriture. Entendre sa voix est très émouvant. Et le site est, évidemment illustré par Quentin Blake !

 

 

Publié dans romans, Roald Dahl, folio junior

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la méthode Legourdin

Publié le par Za

Satisfaction immense de voir quelques petites personnes de neuf ans lancées dans une espèce de défi Roald Dahl, à celui qui en aura lu le plus, à la grande joie du porte-monnaie de leurs parents (qui suivent, bravo !). Ils m'ont carrément dépassée et ont promis, non sans fierté, de me prêter Moi, boy et Escadrille 80 que je n'ai pas encore lus C'est pour des moments comme ceux-là que je ne me lasse pas de mon métier !

 

 

 

 

Cependant, aurais-déjà besoin de me défouler, à peine un mois après la rentrée ? Je me suis lancée dans la lecture d'extraits de Matilda en classe, qui ont effrayé, fait rire, en deux mots, beaucoup plu !

 

"Sur quoi [Mlle Legourdin, la directrice] se courba brusquement sur Amanda, empoigna ses deux nattes de la main droite, la souleva de terre et se mit à la faire tournoyer au-dessus de sa tête de plus en plus vite, tout en criant :

- Je t'en ficherai, moi, des nattes, sale petit rat, tandis que la petite fille s'époumonait de terreur.

- Souvenir des Olympiades, murmura Hortense. Elle accélère le mouvement, tout comme avec le marteau. Je vous parie 10 contre 1 qu'elle va la lancer.

Mlle Legourdin, cambrée en arrière et pivotant habilement sur la pointe des pieds, se mit à tourner sur elle-même tandis qu'Amanda tournoyait si vite qu'elle devenait invisible. Soudain, avec un puissant grognement, l'ex-championne du marteau lâcha les nattes et Amanda fila comme une fusée par-dessus le mur de la cour de récréation, s'élevant vers le ciel.

- Beau lancer ! cria quelqu'un de l'autre côté de la cour.

Et Matilda, pétrifiée devant cette exhibition démente, vit Amanda Blatt qui redescendait, décrivant une gracieuse parabole, au-delà du terrain de sport.

Le projectile vivant atterrit dans l'herbe, rebondit deux ou trois fois et s'immobilisa. Puis, à la stupeur générale, Amanda se mit sur son séant. Elle semblait un peu hébétée et personne n'aurait songé à le lui reprocher mais, au bout d'une minute environ, elle se remit sur pied et revint en trottinant vers l'école."

 

Autre extrait purement jubilatoire...

 

"Pour moi, l'école parfaite [...] est celle où il n'y a pas d'enfants du tout. Un de ces jours, j'en ouvrirai une de ce genre. Je crois que ce sera une grande réussite."

 

Et là, je me dis qu'on a été très injuste avec Mlle Legourdin...

 

 

matilda008.jpg

 

Publié dans romans, Roald Dahl, Folio junior

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a witch !

Publié le par Za

Et voici un enfoncement de porte ouverte. Et largement ouverte même !

Aimer Roald Dahl n'est pas très original. Mais s'y plonger, y replonger est toujours un vrai moment de gourmandise. Après Fantastic Mr Fox, nous voici aux prises de redoutables Sorcières, horrifiquement illustrées par Quentin Blake (vrai génie à mon sens).

Mon moment préféré, un pur délice, se trouve page 11, alors que je lis, sans ciller, sans quitter le texte des yeux, en détachant chaque mot, d'une voix juste un petit peu plus grave, le passage suivant:


"Maintenant, vous savez que votre voisine de palier peut être une sorcière.
Ou bien la dame aux yeux brillants, assise en face de vous dans le bus, ce matin.
Ou cette femme au sourire éblouissant qui vous a offert un bonbon, au retour de l'école.
Ou encore (et ceci va vous faire sursauter !) votre charmante institutrice qui vous lit ce passage en ce moment même. Regardez-la attentivement. Elle sourit sûrement, comme si c'était absurde. Mais ne vous laissez pas embobiner. Elle est très habile.
Je ne suis pas, bien sûr, mais pas du tout, en train d'affirmer que votre maîtresse est une sorcière. Tout ce que je dis, c'est qu'elle est peut en être une. Incroyable ? ... mais pas impossible !"


Et là, je lève les yeux du livre et je remercie intérieurement Roald Dahl.
Merci.
Merci pour ces bouilles:

bouilles002.jpg

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans romans, Roald Dahl

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