Je suis le chapeau
J'avoue avoir été un temps trompée par le suis du titre. Je suis, du verbe être, du verbe suivre ? des deux ?
Abandonnez immédiatement ce que vous êtes en train de faire, c'est à dire lire mon pauvre billet, pour vous ruer ici et lire le magistral premier chapitre de ce roman ! C'est le genre de lecture qui vous donne un coup de fouet, au
cas où vous auriez oublié ce que littérature veut dire. Et ne vous laissez pas abuser par le ado de doAdo sur la couverture, c'est un roman, point.
Pourtant, quelque chose cloche.
Cet ours est coiffé d'un chapeau.
Un chapeau brun, doté d'un élastique coincé autour du cou.
Wanda et Oukiok sont orphelins. Leur père a été tué par l'ours au chapeau. L'ours tué à son tour et mangé, ne reste que le chapeau et les initiales KR, Knud
Rasmussen. Durant leurs trois vies, au Groenland, au Cananda puis en Écosse, les deux jeunes inuits traquent l'explorateur dans l'espoir de lui rendre son chapeau, rencontrent Robert
Flaherty en plein tournage de Nanouk l'esquimau, croisent Winston Churchill. Wanda ne parle pas, elle est muette comme les films de cette époque, sa voix ne se fait entendre que la nuit,
lorsque le rêve déborde, lorsqu'elle ne parle que pour son frère, qui prend fébrilement ses paroles en notes. Un roman épique, une quête de vie, teintée de magie, de chamanisme, ancrée
dans une réalité historique passionnante : les années 20, les débuts du cinéma documentaire, l'exploration des terres arctiques. Wanda et son frère rencontreront-ils Knud Rasmussen
?
L'enchaînement des courts chapitres rend la lecture haletante. Il est impossible de lâcher ce livre tant qu'on ne l'a pas terminé.
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Trois vies encore.
Les trois vies d'Antoine Anacharsis
Une première vie au large de Madagascar, qui débute en 1831 comme débutent toutes les autres vies du monde : dans le ventre d'une mère. Et c'est là le tour
de force d'Alex Cousseau: cette première vie in utero mais en pleine conscience où Taan, le futur Antoine reçoit son héritage avant même de naître. Une généalogie d'abord, une lignée de
femmes, et puis un parchemin couvert d'une écriture indéchiffrable, sésame vers le trésor du pirate Olivier Levasseur.
Cette première vie, absolument fascinante, voit les parents d'Antoine arrachés à leur île, emmenés en esclavage vers un nouveau continent qu'ils ne verront
jamais.
Si mon père était le kraken, ses jambes seraient des bras, des tentacules. Il aurait plusieurs paires de bras d'où pendraient plusieurs chaînes et il
étranglerait les hommes qui nous retiennent prisonniers. Si mon père était le kraken, il renverserait la chaloupe d'un tour de rein. Et la goélette en même temps, pour libérer la tortue.
Si mon père était le kraken, il n'aurait pas peur des fusils, perdre une jambe ou deux ne changerait rien pour lui. Si mon père était le kraken, on n'en serait pas là. Mais mon père n'est
qu'un homme. Ni lui ni moi ne sommes le kraken, nous sommes moins que des hommes, nous sommes des esclaves, mon père est un esclave et je suis à peine plus gros qu'une langouste coincée
au fond d'une nasse.
Les deux autres vies d'Antoine seront celles de la vie à bord d'un baleinier, de la
plantation, de la recherche, du décryptage du cryptogramme, pour lequel il cherchera à solliciter Edgar Allan Poe, grand déchiffreur de messages codés. Dans cette histoire, Antoine
perdra la parole, se fera couper la langue.
Les trois vies d'Antoine Anacharsis est un excellent roman d'aventure, et même un peu plus que ça.
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