milan
Gianni De Conno
Ah, le recueil de contes...
S’ils charrient leur pesant de sexisme, de morale archaïque, les contes traditionnels n’en sont pas moins fondateurs d’une culture, au même titre que les histoires de la Bible. S’en contenter serait idiot, s'en priver serait ballot. La pléthore de contes détournés, triturés, invoqués, rend le retour à la source assez incontournable, si l’on ne veut pas se priver d’un pan considérable de la littérature voire de l’art en général, si l'on ne veut pas se priver non plus d'un réel plaisir de lecture.
Le choix d’un recueil de contes est une tâche difficile – mais délicieuse, je l’avoue.
Dimanche matin, je suis tombée sur celui, ô joie, ô délices ! Pour être honnête, j'ai sauté dessus à la seule vue du nom de l'illustrateur, Montjoie, Saint-Denis !
C'est une invitation au voyage qui ouvre ce recueil, un voyage lent et silencieux, qui coule vers une terre qui n'a l'air de rien mais dont on sait pertinemment qu'elle va charier son lot de fureur et d'effroi, d'ogres et d'enfants perdus, de marâtres cruelles...
Gianni De Conno instille l'étrangeté par petites goulées, par une juxtaposition d'incongruités, comme ces disproportions glaçantes...
Chaque conte est illustré d'une image, deux, rarement plus, quelques cabochons, si peu pour installer une ambiance, et pourtant... Le travail de Gianni De Conno, pour spectacualire de maîtrise qu'il est, s'inscrit dans une région discrète et peu explorée, dans les moments suspendus de l'histoire, dans le silence d'un instant de sidération...
... dans l'attente d'une bête à l'affût...
Tout concourt à faire de ce recueil un livre à la fois classique et étrange,
presque vénéneux,
un indispensable.
brindille
Brindille est une fille, gracile, pas docile. Et lorsqu'on vit dans un monde d'hommes, entre un père et trois frère, autant savoir jouer des coudes. Et s'ils sont pointus, ces coudes, c'est encore mieux ! Pour apprendre à se battre, quoi de mieux que la boxe ? La vraie, avec des gants, celle où l'on croise rarement des filles, mais qu'importe !
Il arrive parfois, mais c'est finalement relativement rare, qu'on croise un album où rien ne manque, un livre qui a tout : l'histoire, le texte, le dessin, la couleur, la mise en page, l'intention. Et dieu sait si j'emploie ce dernier mot avec des pincettes. L'intention, le message, lorsqu'ils sont trop visibles, trop marqués, c'est un peu comme une très jolie fille (si vous aimez les filles), ou un joli garçon (si c'est plus votre came) dont le sourire enjoleur serait encombré d'un bout de salade, d'un relief de persil. Brindille manie la revendication féministe avec délicatesse. Car si les garçons se mettent à la lessive, la frêle Pavlina retournera à son piano, non sans avoir gagné le match. Elle aura fait ses preuves, et c'est tout.
Rien n'est simple dans cette histoire. Les personnages sont profonds et justes, en deux dessins, en quelques mots, tout est dit. Le père, émigré russe, ancien mineur, chauffeur de taxi, épuisé par son travail est infiniment touchant. Et l'entraineur, discret et bienveillant, et les frères, lourdauds mais pas tant que ça... Tous les personnages sont traités avec finesse et respect.
Le dessin de Rémi Courgeon déborde de l'énergie et du caractère bien trempé de son héroïne. Le graphisme accompagne très efficacement le propos, à l'image du texte qui s'orne d'une lettrine de circonstance. Brindille est un album très attachant, optimiste et positif !
Brindille
Rémi Courgeon
Milan, octobre 2012
Pour en voir davantage, jetez un oeil ici,
c'est le blog de Rémi Courgeon.
c'est l'histoire d'une histoire
"Quand on écrit, faut-il tout écrire ?
Quand on peint, faut-il tout peindre ?
De grâce, laissez quelque chose à suppléer
par mon imagination… »
Cette citation de Diderot ouvre
l'album d'Édouard Manceau. Elle situe d'emblée le livre quelque part à mi-chemin entre son auteur et celui qui le lit, entre le texte et l'image, dans un intervalle à explorer, un
coin où fureter, au plus près de l’imagination.
C'est l'histoire de Monsieur Pouillot. Tous les matins, il réveille le loup. Un loup de la pire espèce, un vrai loup de conte, qui va immédiatement courir chez Oscar le cochon, lequel va devoir se réfugier chez Amédée avec qui il va s'enfuir… Enfin, c’est ainsi que cela devrait se passer. Mais pas aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui il pleut. Alors tout le monde reste chez soi tranquillement et personne ne pourchasse quiconque.
Édouard Manceau nous raconte ce qui pourrait se passer s’il faisait beau, en marge d’images de forêt sous la pluie, de maisons douillettement entourées de jardins accueillants dans lesquelles on doit être si bien à lire à l’abri. Verra-t-on la course d'Amédée le lièvre, de Nils l’écureuil, de l’ours Popof, puisqu'il pleut ? Et c’est dans le temps suspendu de cette averse que se situe l’histoire qui pourrait être.
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Le texte d’Édouard Manceau est une classique histoire de gentilles bestioles, toute simple, et qui ne se pousse pas du col. Les illustrations, tranquilles et modestes, papiers découpés, feutre, distillent un silence délicieux, juste troublé par le cliquetis des gouttes de pluie.
Et si vous voulez mon avis, je m’installerais bien dans la maison d’Oscar, coquette, pimpante, avec son joli jardin sur le toit.
"Après avoir longtemps habité à la ville, il est venu s’installer ici avec toute sa bibliothèque. Les jours de pluie comme aujourd’hui, Oscar les adore. Bien au chaud sous une couverture écossaise, il dévore des tas de livres."
L’avis de Yann Fastier, gardien du cimetière des lénifiants.
C'est l'histoire d'une histoire
Édouard Manceau
Milan, 2011
raoul taffin
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Ou pourquoi, parmi la pléthore des zolis zalbums, j'aime Raoul Taffin. Au royaume des mignons héros, Raoul Taffin ne se distingue pas par son patronyme. Au royaume des jolis minois, Raoul Taffin ne se distingue pas par l'irrésistibilité de sa frimousse. Raoul Taffin est le fils de la concierge. Mais dans la cage d'escalier, tout est possible et Raoul Taffin est le plus grand de tous les aventuriers du monde. Il est prêt à tous les défis, pourvu qu'ils soient périlleux et susceptibles de lui apporter la gloire. Sa seule imagination en bandoulière, notre héros parcourt le monde et le temps, brave tous les dangers sans jamais claquer des dents ni mollir du genou. Les textes plein d'humour de Gérard Moncomble et les dessins ébouriffants de Frédéric Pillot font merveille. ![]() Il y a tant à voir à chaque page, tant à revenir voir lorsque l'histoire est terminée ! ![]() |
Lors d'une expédition à la Médiathèque, mon fidèle sherpa et moi-même avons capturé cet exemplaire, au prix d'une lutte délicate qui consiste principalement à présenter une carte rectangulaire sous une lumière rouge qui fait bip !
De retour à la maison, une fois la bestiole apprivoisée, nous l'avons ouverte, car nous savons être cruels, le sherpa et moi, et nous nous sommes régalés de ce qui me semble bien être le meilleur opus de la série !
Éditions Milan, 2000
Comment, que dis-tu, fidèle sherpa ? La mise en page de cet article est un tantinet désordonné ? Non mais, t'as vu ta chambre ?!