veuf
![]() |
"L'homme est un animal inconsolable et gai." Cette phrase de Jean Anouilh pourrait figurer au frontispice de ce livre. Mais la citation de Voltaire qui s'y trouve n'est pas mal non plus... "Il est poli d'être gai."
Il est poli d'être gai...
On savait Jean-Louis Fournier élégant. Qui ne l'a pas vu, à l'émission La Grande Libraire, arborant un pantalon moutarde éclatant, ne sait rien de l'élégance. |
Je repose ce livre délicatement, après l'avoir lu d'une traite. Je ne voudrais pas déranger. Je ne voudrais troubler la quiétude des roses du jardin. Je ne voudrais pas froisser les draps brodés. Je ne saurais décrire la délicatesse de ce texte. Enfin, de ces courts textes, rarement plus de quatre pages. De brefs instants de la vie sans elle, un portrait en creux de la vie d'avant. De tendres reproches, des phrases efficaces.
Le plus terrible, c'est que je vais mourir seul, tu ne seras pas là pour me rassurer, me tenir la main, me fermer les yeux.
En même temps, je préfère que tu évites tout ça. Toi, au moins, tu ne seras jamais veuve.
Une foule de détails, de petites choses glaçantes et tendres.
Chaque fois que je vois des affaires à toi, j'ai du chagrin, surtout ton sac à main. Chaque fois que je rentrais à la maison et que je le voyais assoupi sur une chaise de l'entrée, j'étais rassuré, tu étais là.
Maintenant, ton sac est toujours là, mais pas toi.
García Márquez a écrit : "Les gens qu'on aime devraient mourir avec toutes leurs affaires."
L'humour dévastateur et iconoclaste de Fournier n'est évidemment jamais bien loin. L'ami de Desproges n'aurait pu nous offrir une tristesse simplement noire, purement grise. Avez-vous jamais lu plus belle déclaration d'amour...
La belle pendule Napoléon III refuse de se remettre en route. Je l'ai remontée, je l'ai calée, je ne comprends pas. Peut-être qu'elle n'ose plus sonner, parce qu'elle a une sonnerie joyeuse ? Ou alors, ça ne l'intéresse plus de compter le temps depuis que tu es partie, il passe trop lentement. Les journées sont longues depuis le 12 novembre. j'aurais dû récupérer tes cendres, faire un grand sablier pour les mettre dedans, je t'aurais regardée passer le temps.
On pense inévitablement à Où on va, papa ? dans lequel Fournier racontait son expérience de père de deux fils handicapés, et qui était un texte cocasse et déchirant. Rien de tel avec Veuf, vous l'aurez compris. Le chagrin de Jean-Louis Fournier se déplace sur la pointe des pieds, en s'excusant presque. Et c'est bouleversant.
Jean-Louis Fournier
Veuf
Stock, octobre 2011