gormenghast # 3
Ça y est.
J'ai terminé.
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J'aurais pu dire "j'en ai terminé", mais a-t-on jamais fini d'errer dans cette "abstraction de pierre" - l'expression est de Peake lui-même. Dans ce troisième et dernier tome, Titus a quitté Gormenghast, s'est libéré du protocole, de son destin de soixante-dix-septième comte d'Enfer. Il erre, incapable de retrouver le chemin du château, plongeant toujours plus profondément dans les entrailles de la Terre, dans le ventre de l'humanité. Rien ne le retient ici, aucune rencontre, ni la gratitude envers qui lui sauve la vie, ni les bras d'une femme. Le vaste monde et son goût sauvage de nouveauté ne peuvent remplacer Gormenghast. " Je veux l'odeur de ma terre natale et le souffle du château dans mes poumons. Donnez-moi une preuve de moi-même. Donnez-moi la mort de Finelame. Les orties. Donnez-moi les corridors. Donnez-moi ma mère ! Donnez-moi la tombe de ma soeur. Donnez-moi le nid. Rendez-moi mes secrets... car cette terre est étrangère. Oh ! rendez-moi le royaume dans ma tête ! "
À vrai dire, moi aussi, je le regrettais, ce château. J'aurais voulu avoir des nouvelles du Dr Salprune, de sa soeur, de Belaubois...
Et pourtant, une fois encore, Mervyn Peake excelle à créer des mondes. À côté de Gormenghast et de ses traditions séculaires, il existe un univers peuplé de machines, d'usines inquiétantes, de voitures rapides, d'engins volants. Un univers qui ne sait rien de Gormenghast. Perdu et ignoré, Titus n'est pas loin de tomber dans la folie. Les personnages de ce dernier tome n'ont rien à envier aux habitants du château, Musengroin et Junon rivalisent avec la Comtesse d'Enfer, avec Craclosse et Cheeta devient un genre de double démoniaque de Fuchsia.
Ce texte, arraché par Peake à la maladie qui rongeait son corps et son esprit, est sans doute bancal et imparfait. Mais c'est cette imperfection-même qui en fait toute la beauté. Et puis, une fois qu'on a lu les deux premiers, il est impossible de faire l'impasse sur Titus errant. Tout simplement impossible.
Cette lecture au long cours m'a touchée, remuée, secouée, emballée, accrochée. En conclusion, je devrais à Gormenghast :
- quelques éclats de rire,
- une tendance au ricanement, parfois,
- une ou deux moues dégoûtées,
- des images obsédantes,
- la découverte d'un grand auteur, d'un immense illustrateur, mort l'année de ma naissance, le jour de ma fête (un rien me trouble, ces temps-ci)
- des passages lus et relus pour leur beauté - bon sang, la traduction de Patrick Remaux !
- l'usure momentanée de la patience de certaines personnes que je bassine avec ces livres qu'ils n'ont pas lus et auprès desquels je m'excuse - mais ils me remercieront plus tard...
- l'usure momentanée de la patience d'une personne que je bassine avec ces livres qu'il a lus et auprès de qui je m'excuse - mais là, c'est moi qui le remercie...
Mervyn Peake
"Here was an extraordinary man, his head a treasure-house of invention, poetry, characters, ideas, being destroyed from within while his genius was rejected by the literary and art world of
the day." Michael Moorcock, "An excellence of Peake"