mille petits poucets
On peut cheminer avec un texte pour finalement le rencontrer vraiment un jour, le redécouvrir comme si on ne l'avait jamais croisé.
J'avais lu déjà ce livre, j'en avais senti toutes les qualités, le texte est brillant, l'image est magnifique, l'ensemble est pétri d'intelligence, édité avec talent et humour.
Et puis l'autre jour, je me suis radinée avec à l'école. Ne me demandez pas pourquoi. Je me suis assise sur ma petite chaise, les minuscules autour. Quand je dis minuscules, c'est une image, ils ont entre 8 et 10 ans et certains sont aussi grands que moi. Mais bon, ils savent encore s'asseoir par terre et écouter des histoire, des romans entiers parfois.
Alors, je leur ai lu Mille petits poucets.
Il repartait donc vers les bois dans l'espoir d'y perdre les enfants,
et dans le désespoir d'y parvenir.
Le plaisir de lire à haute voix demande du texte une certaine coopération. Tout ne se lit pas avec aisance, tout ne s'écoute pas avec plaisir. Après avoir échoué à partager James et la grosse pêche de Roald Dahl, je me suis méfiée de certains textes comme de la peste. Le plaisir de faire entendre une histoire ne tient que si la langue s'y prête, le talent du lecteur n'étant qu'un facteur parmi d'autres. Rappelons-nous que la lecture silencieuse n'a pas toujours été de mise, qu'il fut des temps où seule existait la lecture à haute voix.
Mais revenons à nos lardons !
Car voici : les profondeurs nuiteuses de la forêt luisaient du regard innombrable des fillettes et des garçonnets perdus là par des parents plus habiles (ou plus désespérés) que lui.
Mais quel texte, mes enfants, quel texte ! Avec ses airs sages de belle langue d'autrefois, il installe par petites touches l'image d'une famille perpétuellement mouvante ou la filiation se définit au hasard de la rencontre.
Et si ce n'était que ça... Mais non, encore fallait-il une histoire d'amour. Vous savez que j'ai les histoires d'amour en horreur. Et pourtant celle-ci a failli me tirer des larmes. Expliquez-moi pourquoi, alors que je la trouvais presque convenue à première et silencieuse lecture, en l'entendant de ma propre bouche, elle m'a émue.
"D'habitude, ce sont les amoureuses qui vous donnent des enfants. Moi, ce sont les enfants qui m'ont donné une amoureuse !" se dit l'homme doux.
Que les forêts soient si pleines d'enfants et de femmes tendres lui sembla une belle et bonne chose.
Et là, c'est moi qui suis tombée amoureuse de ce texte serein, qui avance tranquillement, sans à coup, qui déroule sa petite pelote de douceur jusqu'à la fin en forme de morale moderne.
Ce petit Poucet revu par Yann Autret et Sylvie Serprix est l'exact inverse de l'abandon, il devient un conte optimiste dans lequel tout est possible. Car les petits enfants ne sont plus aussi naïfs qu'avant. Non seulement il est impossible de les perdre mais ils reviennent chaque fois plus nombreux qu'ils n'étaient partis. Et leur père, cet homme si doux, après l'avoir perdu, finit par y trouver son compte.
Yann Autret & Sylvie Serprix
Mille petits poucets
Grasset Jeunesse, 2011
Vous pouvez voir ici quelques-unes des belles images de Sylvie Serprix.
En passant, que je vous dise, le sommet de la lecture et de l'interprétation a été atteint pour moi un soir d'été par Guillaume Galienne lisant l'Odyssée. J'y ai découvert des mystères et une sensualité que jamais je n'avais associés à ce texte.