C'est rien, mon petit homme, tu es si beau qu'il ne peut rien t'arriver de moche.
En matière d'illustration, il y a émotion et émotion.
Je dis en matière d'illustration, mais ça peut marcher aussi avec les mots, les gens. Tant que ça marche sur la pointe des pieds, moi, je prends. Je suis du côté de l'émotion qui n'a
l'air de rien, qui s'exprime de pas grand chose, qui se dit sans mots. Enfin, qui se dit sans mots, n'exagérons pas. Alors sortez vos mouchoirs. Mais s'il vous plaît, des mouchoirs de
toile fine, de ceux dans lesquels on hésite à se moucher. Surtout lorsqu'ils sont brodés par Olivier Tallec.
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Vous avez déjà pleuré, vous, debout dans un coin de bibliothèque ? Mais municipale, la bibliothèque, publique. Pas la vôtre chez vous, ouske personne ne vous voit. Ce petit bonhomme m'avait
accroché l'oeil. C'était juste avant qu'il ne me fende le coeur. Sa maman vient de mourir. Rien que ça. Quand on est mère de petit bonhomme soi-même, l'idée est tout simplement
insupportable. Le texte de Charlotte Moundlic est juste, sans fioritures, au plus près de la parole de l'enfant, sans pour autant sacrifier l'élégance du texte écrit, mais vraiment
écrit.
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La croûte, c'est la blessure, quelle qu'elle soit. Celle qu'on cultive pour se sentir vivant. Mais celle qui finira bien par cicatriser. Elle fera moins mal, mais elle laissera une
trace. Pas de pathos ici, oh non. Tout est dit sur la couverture. Le petit regard perdu, les guiboles fragiles des petites personnes, si vulnérables qu'elles semblent perdues sur le plus
quotidien des canapés.
Maman est morte depuis plusieurs nuits, je n'ai plus envie de dormir, j'ai un peu mal au ventre et je n'arrive pas à m'occuper de papa.
J'essaie de ne pas oublier l'odeur de maman mais elle s'en va, je ferme toutes les fenêtres pour ne pas qu'elle s'échappe et papa me gronde parce que c'est
l'été, parce qu'il fait trop chaud et parce qu'il ne sait plus trop comment me parler.
Je vois bien que ça lui fait mal de me regarder à cause de mes deux-yeux-de-ma-mère.
Je ne lui ai pas expliqué que c'était pour continuer à respirer maman, dès que je dis "maman", il pleure.
Comme adulte, il n'est pas facile.
L'intensité des rouges d'Olivier Tallec contraste avec la fragilité du dessin. La légèreté du petit bonhomme, le soin apporté aux détails apportent un contrepoint salutaire à la tristesse
ambiante. Le texte est envahi de grands aplats - le canapé, la maison, l'escalier, la table, le mur de la chambre.
J'aime cette image où chacun est absent à l'autre. Le père, devant le frigo, semble enfermé dans un bocal. La table au premier plan nous plante dans le rouge, à l'ombre d'un bouquet squelettique.
Une des rares incursions de la couleur accompagne l'écorchure.
Ailleurs, l'illustration se fait discrète, vignettes crayonnées, mouvement, sentiment.
Rarement un album m'aura émue à ce point. Rarement sujet aussi casse-gueule aura été traité avec tant de délicatesse.
La croûte
Charlotte Moundlic
Olivier Tallec
Les albums du Père Castor
mars 2009