Des fleurs, la lune, une fenêtre, des arbres, un jardin, des poissons, des couleurs qui s’entrechoquent, tel est l’univers joyeux que Lucie Vandevelde nous offre. J’avoue qu’il a fallu qu’elle y ajoute la possibilité de deux ou trois dragons pour que je me dise qu’on tenait là une illustratrice à ne pas manquer ! J’en entends qui soupirent… « Ah ben, quand même ! » « Il était temps ! » Je répare donc aujourd’hui ma bévue (et cite soigneusement leurs chroniques en fin d’article).
Lucie Vandevelde, donc, qui a accepté de répondre à quelques questions et m'a confié images et photos.
La nouvelle de la jungle. Octobre 2013
Le jardin des secrets
Des mots à ne savoir qu’en faire, des mots qu’on ne dit pas : des secrets. Autant les planter pour qu’ils poussent en un jardin. Un jardin secret ? Mais cette année, la récolte est mauvaise, les fleurs de secrets manquent à l’appel. Les dessins de Lucie Vandevelde avancent sans se pousser du coude, discrètement, sans esbroufe. Et pourtant, les couleurs explosent, les motifs jouent de l’accumulation, on en prend plein les yeux. Il y a des transparences légères, des brins d’herbes où pointent des cartes routières, des découpages sans fin, et des couleurs, des couleurs, des couleurs…
Dans cet album, vous avez créé un univers résolument optimiste, débordant de vie. Aimeriez-vous, un jour, illustrer une histoire triste ?
Cette question me fait sourire !
Le Jardin des Secrets aurait pu être abordé graphiquement avec des couleurs en demi-teintes, des ambiances fanées, duveteuses ou cotonneuses. Le thème du secret aurait été abordé avec un parti pris graphique différent et un autre regard sur ce thème serait né.
Si demain, j’étais amené à illustrer une histoire triste, je l’aborderai peut être avec la volonté d’en faire quelque chose de vif, de cru, de coloré… Parce que le tragique ne se vit pas seulement en noir et gris !
Illustration extraite de l’album Le Jardin des secrets
Il émane de votre travail une grande liberté, une absence de préjugé sur ce qu’est une illustration. L’abondance des techniques utilisées sur une même page est un véritable tour de force. Comment conserver une identité graphique forte, une telle cohérence en s’aventurant dans autant de directions à la fois ?
Je pense qu’il y a plusieurs éléments de réponse à cette grande question…
D’abord, mon parcours. Je ne suis pas issue d’une école d’Arts Appliqués. J’ai fait une école de photographie en abordant l’image dans un premier temps avec un regard photographique. Ensuite je suis rentrée au Beaux Arts et j’ai abordé cette fois l’image avec un regard de plasticienne. C’est certainement de là que vient cette liberté dans la création d’une image. Et du fait aussi de ne pas avoir été « formatée » par une école mais au contraire, d’avoir réalisée ma propre école et puisé dans des branches artistiques autre que l’illustration.
Aujourd’hui, la création avec pour médium l’illustration s’appuie sur une démarche artistique qui va au delà d’illustrer simplement un livre. Et c’est certainement cela qui me permet de naviguer graphiquement en des mers inconnues !
Je compare souvent l’Univers graphique à un dictionnaire. Plus il y a de mots dans le dictionnaire, plus il y a d’éléments pour créer et imaginer des phrases, puis des histoires.
C’est pareil pour l’Univers graphique. Plus nous avons de vocabulaire graphique, plus le créatif peut s’amuser à emprunter des chemins nouveaux pour composer, aménager, associer, peindre, coloriser… créer.
Quelle place tient la palette graphique dans votre travail ?
Une grande place. La palette graphique est une technique au même titre que l’aquarelle ou le collage. C’est un outil qui ouvre des perspectives incroyables. Il m’arrive de réaliser des illustrations entièrement en infographie à la palette graphique. Cependant, j’aime tellement jouer avec la matière que j’utilise en général autant mes pinceaux et mes crayons de couleur que la palette, avec une étape de scannage entre bien sûr !
Illustration réalisée entièrement à la palette graphique
Comment la couleur arrive-t-elle ? Comment passez-vous du crayonné à l’image en couleur ?
La couleur, c’est magique !
J’adore travailler les ambiances colorées, jouer avec les couleurs complémentaires, les contrastes…
La couleur arrive de manière assez spontanée et naturelle. Après le crayonné, j’encre mon image à l’encre de chine puis je commence par coloriser les fonds pour poser l’ambiance colorée et je viens jouer ensuite sur les contrastes en colorisant le reste de l’image.
Dans mes rêves
Tout est dit dans le titre de cet album délicieusement paradoxal. Dès la première page, dès les premières lignes :
Voilà le soir…
J’éteins la lumière…
Mes pensées s’illuminent dans le noir.
De ce tourbillon de lumière nocturne, concentré dans une accumulation végétale ou même les immeubles ont des airs de jardins, de ces images souriantes se dégage une impression de fragilité : deux longs bras levés avant un plongeon, deux jambes malingres rayées de rouge en équilibre sur une échelle… Chaque page traduit exactement l’exubérance du rêve qui pourtant ne tient qu’à un fil.
Dans mes rêves est un de ces albums d’impressions qui avancent d’un sentiment à l’autre, de ces textes suffisamment allusifs qui laissent une liberté totale à l’illustrateur.
Comment avez-vous travaillé avec Juliette Parachini ? Ce fut un aller simple ou des aller-retours ?
Il n’y a pas vraiment eu d’aller-retour. Juliette Parachnini a écrit cette histoire en s’inspirant de mon univers graphique. Ensuite elle m’a soumis son texte qui forcément m’allait comme un gant !
Et j’ai illustré cette histoire comme un poisson dans l’eau du début à la fin ! En gardant les pieds dans les étoiles bien sûr !
Illustration extraite de l’album Dans mes Rêves
Auriez-vous envie d’être un jour seule aux manettes, texte et illustrations ?
Eh eh ! Je le suis déjà depuis quelques années !
Car je fabrique des Livres-Objets ou je suis à la plume et aux pinceaux. Ils me servent de base pédagogique pour les ateliers graphiques que j’anime auprès des enfants.
Livre-Objet Plic ploc Arthur et la pluie
Intervention en crèche dans le cadre du Salon de La 25ème Heure du Livre 2012 avec le Livre-Objet Plic Ploc Arthur et la pluie.
Puis, il y a un an, cela a donné naissance à une commande de mon éditrice Angéline Chusseau. Angéline m’a demandé si j’avais envie de prendre la plume et d’écrire une histoire avec pour thème La mer. C’est ainsi qu’a commencé l’aventure de mon prochain album à paraître, Les Trois Dragons.
Mais, je ne suis pas toute seule dans le vaisseau spatial de la création ! Car lorsque l’on travaille avec un éditeur, on est deux. Et il est important de s’entourer de regards extérieurs pro pour éviter de s’enfermer. Finalement 3 personnes ont œuvré dans l’ombre à la création de cet album à paraître.
Une petite équipe bien affûtée pour m’épauler et me guider dans cette aventure livresque. Une éditrice de choc, une directrice éditoriale qui m’a guidée pour la partie littéraire et 1 directeur artistique qui m’a épaulée pour la partie graphique.
Vous réalisez parfois, lors d’ateliers ou de salons, de très grands formats, d’immenses coloriages. Comment les enfants réagissent-ils à cette immersion ?
Il n’y a pas que les enfants qui réagissent ! héhéhé
Les coloriages géants sont de véritables graines à faire pousser l’imaginaire et développer l’envie de faire. Chaque coloriage est une illustration géante originale.
C’est une œuvre à mille et une mains ! Je m’explique…
Il y a la première partie ou les enfants me regardent dessiner et voient naître sous leurs yeux une illustration… mais qui n’est pas fini !
Cette illustration est remise aux enfants pour qu’il la termine en colorisant… Cela devient une œuvre participative où chacun peut laisser sa trace, son empreinte sur un temps déterminé. D’ailleurs, après avoir mis en couleur, beaucoup d’enfants signent avec leur nom et prénom !
Coloriage géant au Salon du Livre de Montaigu 2014
Coloriage géant au Salon du Livre de Montaigu 2014
Coloriage géant au Salon du Livre de Montaigu 2014
Votre travail est multiple, vos dessins se déclinent en création à suspendre, luminaires, mail-art… Quelle est la place de l’édition dans votre démarche ?
L’édition jeunesse, c’est venir chatouiller et arroser l’imaginaire des enfants. C’est communiquer et échanger par le biais de la création avec un public doté d’une grande liberté de penser, de créer et d’imaginer. Chose que l’on perd un peu, puis beaucoup en devenant adulte. A l’heure où notre monde marche sur la tête, où l’humain devient produit et tant d’autres choses étriquées, il me semble important de semer des petites graines de fantaisie, de magie, de rêves et d’impossibles auprès des enfants qui seront les adultes de demain. Et peut être que ces adultes de demain imagineront un impossible qui deviendra possible. En cela, l’édition jeunesse devient un vecteur très intéressant, intrinsèque à ma démarche artistique.
Ce n’est pas un secret, votre prochain album à paraitre en septembre aux éditions des Minots est une histoire de dragons. Pouvez-vous lever un coin du rideau ?
Eh bien, j’ai déjà levé un petit coin du rideau dans une des questions précédentes ! Les Trois Dragons, c’est déjà une sacrée aventure graphique, littéraire et éditoriale dans sa création. J’ai écrit cette histoire il y a un an sur la grand plage de Dunkerque. Avec dans ma marmite : une grande fiole de concentré pure confiance de mon éditrice Angéline, une bouteille remplie d’eau de mer des plus purs des océans, 3 grandes cuillères à soupe d’imagination, 2 petites cuillères de grains de sable et 1 pincée de vent du Nord.
Cela donne au menu, un conte contemporain avec son coulis de dragon de mer accompagné d‘une ratatouille d’aventure à l’eau salée !
Extrait de l’album Les Trois Dragons à paraître en septembre aux éditions Les Minots
Extrait de l’album Les Trois Dragons à paraître en septembre aux éditions Les Minots