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actes sud

les dévoreurs de livres # 1

Publié le par Za

La littérature est, au sens propre, une passion envahissante, on l'a déjà vu. Mais elle est aussi une affection dévorante qui engloutit le lecteur au fur et à mesure qu'il avale les livres. Littéralement.

"Je fermai le livre très doucement, le flattai avec la paume de ma main droite comme pour y laisser ma chaleur... et le mordit avec une volupté que j'ai rarement retrouvée depuis.

Ma mère crierait, Jacques m'engueulerait - un livre neuf ! avec des traces de dents ! - mais tant pis, la tragédie grecque portait déjà ma marque ! "

 

ange cornu

Dans le Montréal des années cinquante, le jeune Michel Tremblay est un dévoreur de livres comme on en fait peu, de la catégorie des obsessionnels, des malades, des ravagés. La Comtesse de Ségur, Jules Verne, tout y passe, avec la même fringale impossible à rassasier. Et un jour, fatalement, vient le temps d'inventer et d'écrire...

Quel bonheur que ce livre ! Quel plaisir de lecture ! Michel Tremblay est auteur dramatique. C'est logiquement dans les dialogues qu'il se surpasse, des dialogues en joual, avec l'accent qui vient tout naturellement à l'oreille. C'est pour ces affectueuses disputes entre Michel et sa mère qu'il faut lire ce livre, des disputes que je qualifierait de ... pagnolesques!

"Chus ben contente que t'aimes lire, Michel, mais si c'est la lecture qui te rend malade comme ça, j'vas t'acheter un bâton de hockey pis tu vas aller te faire des muscles ! "

Michel Tremblay, a grandi entre une grand-mère lectrice impénitente et une mère qui avait un avis très clair sur la question , une philosophie dont on devrait se souvenir au moment d'ouvrir un livre, ou en le refermant, juste avant d'asséner aux patients lecteurs de son blog un avis ferme et définitif...

"Chus pas une spécialiste de la littérature, moi ! J'me contente de lire des livres, de suivre l'histoire qu'on me conte, de brailler quand c'est triste pis de rire quand c'est drôle... J'me pose pas des question jusqu'à demain quand je lis une phrase ! J'finirais jamais un seul livre ! J'sais quand une histoire est à mon goût ou non, pis j'lis le livre ou non, c'est toute !"

 


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notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Publié le par Za

Chers amis désespérés,

 

Prenez quatre euros et quelques minutes.

Quelques minutes pour découvrir ce texte et des mois ensuite pour y penser, y retourner.
C'est ça. C'est un texte qui retourne.
Lu cet été, en plein soleil.
Relu, même, à voix presque haute, immédiatement.
Pas chroniqué, trop casse-gueule.
Car que dire de plus, qui n'aurait été inutile.
Pas rangé, reposé dans la pile à lire qui fait parfois ressurgir ce qu'on lui a confié, aidé en cela par une lecture sur la toile, qui remet la puce à l'oreille.
Et je découvre à cette occasion, l'interprétation qu'en font les Têtes Raides sur scène. 
J'y replonge, et retrouve, coincée entre les pages 16 et 17, une fleur rose séchée qui est devenue violette (mon côté fleur bleue).




Stig Dagerman écrit ce texte en 1952 - il ne sera publié en France qu'en 1981. Sous ce magnifique titre  se cachent dix pages serrées, impitoyables, écrites au scalpel, sur ce qui a conduit Dagerman à cesser d'écrire, de peur de n'y arriver plus, puis à cesser de vivre.
Le texte débute ainsi : "Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationalisme ou la candeur ardente de l'athée. Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute comme si celui-ci n'était pas, lui aussi entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible a rassasier."

Comment chercher alors, accueillir cette consolation fugace, éphémère, impossible à tenir, qui ne sera jamais assez solide pour devenir fondation, étayage, ce mirage de consolation, si bref, si trompeur... Il devient alors nécessaire de se mettre à l'affût de sa condition d'humain libre, si tant est que la liberté soit possible. Aucun espoir dans ce texte. Pas de bonheur, non plus. Le mot n'y figure jamais (mais je m'appuie sur une traduction). Ceci étant dit, je m'en accommode assez bien, tant ce pauvre bonheur est mis à toutes les sauces jusqu'à en devenir boursouflé et vain. Le seul sentiment de félicité se trouve hors du temps, il est lié à la nature, à l'autre, en tout cas jamais à l'écriture.  "Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie."

Alors, amis désespérés, ne lisez pas ce livre.
Pour les autres, c'est à dire ceux qui ne le seraient pas encore - désespérés, sachez que la lucidité crue de ce texte fait un peu mal, de ce mal qui fait qu'on est vivant.
Aussi.


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Ouragan

Publié le par Za

"Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans", est là depuis toujours, enveloppée dans son obstination à vivre et ce n'est pas cet ouragan qui la fera plier. C'est elle, si frêle et si déterminée qui orchestre cette épopée à plusieurs voix, paroles croisées, entremêlées sans jamais se confondre, le contraire de la cacophonie, un concert d'humanité pure qui vous happe dès la première phrase.

 

 

ouragan.jpg

 

 

Dans la sidération provoquée par l'arrivée de l'ouragan Katrina, les oubliés de la Nouvelle-Orleans disent leur vie, tout de suite, avant qu'elle ne soit emportée par le vent, dévorée par les alligators. Car il y a urgence, urgence à ne pas céder, à éprouver sa liberté, à garder la tête haute face au déluge, à la mort même. Il est question de fidélité aussi - fidélité aux morts, à Dieu, à une femme perdue, à un enfant.

À l'image des détenus en cavale, les personnages de Gaudé sont tous "prisonniers d'un monde qui n'existe plus". La beauté de ce monde n'apparaît alors plus qu'aux fous, de façon fulgurante, avant que l'horreur ne s'incarne, impitoyables mâchoires des alligators. 

"O spectacle inouï du cataclysme. Sous nos yeux, le cimetière s'étale en une vaste plaine inondée. Aux statues et mausolées qui surnagent se sont accrochées des algues et des branchages charriés par le vent. Et partout, marchant élégamment avec indifférence, des flamants roses. Paul the Cripple me montre du doigt certaines tombes en sautant littéralement de joie : des grappes de singes de différentes espèces s'accrochent aux croix ou sautent de l'une à l'autre. Plus loin, des perroquets multicolores ont élu domicile sur des toits de caveaux, caquetant dans le silence des marais. "C'est le zoo, dit-il avec joie. Tout cassé le zoo ! ..." Je contemple ces animaux aux couleurs inouïes, ces singes qui bondissent et se grattent avec indifférence. Nous découvrons soudain un grand cerf aux boix larges couleur de chêne, qui nous regarde avec surprise."

Les imprécations de Josephine Linc. Steelon n'y feront rien. Le bayou reprend ses droits sur la ville qu'il faut abandonner à la colère du monde. C'est dans cette parole intarissable que le texte de Laurent Gaudé puise son souffle et son identité.

"Moi, Josephine Linc. Steelson, fatiguée d'être vieille, je voudrais finir au vent, éparpillée. J'entends la pluie qui martèle le toit et je sens que ma vieille maison de négresse est sur le point de craquer. Si tout s'effondre d'un coup, je disparaîtrai sous les gravats et le monde, tout autour, continuera à se convulser, sans se souvenir de moi. Ce serait bien, mais je dure. Pourquoi suis-je aussi solide ? Pourquoi est-ce que le vent ne me casse pas les os ? Il tord les carrosseries, arrache les balcons mais me laisse intacte. Que les cheveux volent sur les bayous, que mes os soient engloutis dans les marais et que mes dents se plantent en terre. Je voudrais mais le vent souffle et me laisse en paix. Je suis une vieille négresse increvable. Tout se tord, et moi, je reste."

Ouragan est un beau roman, baroque, déchirant et terriblement humain.

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happening cantalo-picard...

Publié le par Za

Ce texte, qui arrivera en trois épisodes sur le blog, a été spécialement écrit pour une discussion sur les livres de cette rentrée, organisée par le  Réseau d'Échanges Réciproques de Savoirs et la librairie « les Belles Pages » à Murat, Cantal. Il sera lu publiquement aujourd'hui et je n'en suis pas peu fière , à peu près au moment où  il apparaîtra ici. Mon seul regret est de ne pas être une petite souris extraterrestre pour pouvoir me téléporter au coin d'une étagère, cachée derrière un serre-livre et écouter, écouter...

 

 

petite souris012


Petit préambule non obligatoire…

"À peine en a-t-on fini avec la rentrée scolaire, qu’on la voit se pointer, ses cabas remplis à ras bord : la rentrée littéraire !

La rentrée littéraire, c’est comme retrouver son jardin après de longues vacances. Ça a poussé dans tous les sens, il y a de tout, un peu partout, et il va falloir faire preuve de clairvoyance et de sang froid pour différencier les plantes rares des mauvaises herbes envahissantes. Il y a des gens qui ont la main verte. Existerait-il un don similaire qui nous permettrait de survivre à la publication simultanée de quelques 700 nouveaux livres ? Remarquons au passage que cette surabondance de textes ne concerne que le genre roman, marginalement la nouvelle. Quant à la poésie… La poésie vous dites ?

Pour être sincère, cette année, j’avais décidé de la jouer un peu snob et de me retrancher à l’abri d’un bon vieux classique d’au moins 800 pages, du genre Moby Dick. J’en serais sortie mi-novembre, l’air innocent de celui/celle qui a tout loupé, mais qui a surtout lâchement laissé les autres aller au feu, comptant sur les survivants, s’il en reste, pour lui conseiller les trois ou quatre livres indispensable - car généralement, il n’y en a pas davantage. Sachant que mon indispensable n’est pas forcément le vôtre, nous voici face à une situation impossible.

Pourtant, une fois encore, je cède à la tentation et puis, cet après-midi, il est question d’échange, non ? J’ai donc lu quelques romans pour vous. Commençons par le moins bon, ce sera fait.

 

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« L’amour est une île », Claudie Gallay, chez Actes Sud.

L’histoire hante des lieux qui me sont très familiers : Avignon et son festival, en particulier celui de 2003, année de la grève des intermittents du spectacle. Hélas, d’une réalité si forte, Claudie Gallay extrait des personnages artificiels auxquels il est impossible de croire au-delà de la page 50 : une comédienne ultra célèbre surnommée la Jogar – un nom aussi laid à lire qu’à entendre, un directeur de théâtre, une vieille dame qui a connu tout le monde : Gérard Philipe, Jean Vilar, Léo Ferré, Calder, Willy Ronis, Agnès Varda… N’en jetez plus ! Pour ceux qui auraient lu le précédent roman de Claudie Gallay, « L’amour est une île », c’est « les Déferlantes » à la sauce Avignon, tapenade comprise.


IMGP1547.JPG 

Vite oublié celui-ci, on se jette sur le suivant, au sommet de la pile à lire, qui se tourdePise d’ailleurs un peu plus chaque jour."

 

à suivre...

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la controverse de Bethléem

Publié le par Za

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Toujours chez Actes Sud, La controverse de Bethléem.

Pourquoi ce livre a-t-il attiré mon oeil au milieu de tous les autres ? Le tableau du Greco y est certainement pour quelque chose. Le titre, rappelant la passionnante controverse de Valladolid... Il s'agit ici de la traduction du grec vers le latin des Évangiles par Jérôme au IVème  siècle. Les points qui l'opposent à Rufin d'Aquilée sont loin d'être anecdotiques: le péché, l'expiation, le sacrifice, le personnage du Diable... Tant de dogmes qui ont réglé la vie des chrétiens pendant les siècles et dont on découvre qu'ils étaient un peu flous à cette époque.  Cette controverse n'est pas anecdotique car la traduction de Jérôme est toujours la traduction en vigueur dans l'Église contemporaine. Ce roman-correspondance, qui court de 380 à 410, entre disputes et réconciliations, se lit d'une traite et nous fait vivre en direct l'invasion de l'actuelle Italie par les Wisigoths.

Moment savoureux, dont je ne sais que penser, sourire ou m'effrayer, l'évocation des ermites du désert, dont la vie de mortification repose là encore sur la traduction, l'interprétation d'un simple mot. Reclus dans des trous creusés dans le sol, enfermés volontaires dans des cages suspendues, broutant l'herbe à même le sol, les "stationnaires" dont certains, par le truchement d'une corde restent debout plusieurs années, les "stylitiques" vivant sur une colonne... Ces pratiques incroyables de mise à mal du corps pour la gloire de Dieu,  prêtent aujourd'hui à sourire et me rappelle l'indépassable, l'impayable Thérèse d'Avila vue par Claire Bretécher, à relire absolument. Mais j'ai un peu mauvais esprit, je sais...

 

 

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