animalium
Du grand, du beau, de l'indispensable. On est au-delà du coup de cœur, c'est du coup de foudre. Il y a des livres qu'on est particulièrement fier d'offrir, en v'là un ! Mais il faut s'accrocher, car on atteint ici des hauteurs rares.
Vider la boîte à adjectifs ne serait pas suffisant pour rendre hommage à ce grand bazar soigneusement classé qui se déplie généreusement sur les genoux - 37,7 x 27,7 cm, s'il vous plait ! Entre museum et cabinet de curiosité, cet album devient un compagnon d'émerveillement inépuisable.
Mais il s'agit tout d'abord de survivre à la couverture, aux pages de présentation des chapitres...
Après, on plonge. Et là, il faut supporter vaillamment la beauté des planches.
Le texte est tout à fait intéressant, n'en doutez pas. Mais je ne me remets pas des couleurs, de la construction des images, de la technique époustouflante de Katie Scott.
Car nous construisons notre imaginaire à partir de ce que nous connaissons. Chaque créature présentée ici dans l'Animalium existe dans la nature et devient un point de départ pour rêver,créer, imaginer...
Pour tous les amoureux de la belle édition, pour les adorateurs du chant de la page qu'on tourne, pour les sniffeurs de livres, cette merveille - qui rappelle les splendeurs d'Audubon - est une somme à caresser, à renifler, à conserver avec jalousie, à relire à l'envi. Animalium est à ranger à côté du Bestiaire du Gange, pas loin de Chimères Génétiques.
Animalium
Katie Scott & Jenny Broom
Autrement Jeunesse, novembre 2014
Les éditions Autrement Jeunesse ont fermé leurs portes il y a un mois environ. Jetez-vous sur les livres de leur catalogue inépuisable tant qu'ils sont disponibles.
une bible
Evidemment que je ne l'ai pas lu ! 385 grandes pages, 3 bons kilos. Vous pensez bien que ce n'est pas le genre d'objet auquel on s'attelle un soir en annonçant : "bon allez, je m'y mets !" Mais si j'attends de l'avoir terminé, vous aurez une longue chronique dans quelques années... Alors je vais le chroniquer comme je vais le lire, à petite dose, et dans le désordre, forcément.
J'étais curieuse de savoir comment Philippe Lechermeier et Rébecca Dautremer avaient traité la Nativité.
rencontre la jeune Marie. Il n'est pas un ange mais un homme oiseau.Et c'est une belle histoire qui court de l'humble étable aux palais somptueux des Mages, dans une langue fluide et évidente. L'homme oiseau accompagne les protagoniste, les pousse les uns vers les autres.
Quand il fut bien loin, tellement loin qu'aucun homme, même en grimpant au sommet de la montagne la plus élevée, même en ouvrant les yeux très grands, n'aurait pu porter son regard jusque-là, il sut qu'il était arrivé.
Par une fenêtre, il pénétra dans une somptueuse demeure.
C'est la que vivait Melchior, le grand magicien persan.
Gianni De Conno
Ah, le recueil de contes...
S’ils charrient leur pesant de sexisme, de morale archaïque, les contes traditionnels n’en sont pas moins fondateurs d’une culture, au même titre que les histoires de la Bible. S’en contenter serait idiot, s'en priver serait ballot. La pléthore de contes détournés, triturés, invoqués, rend le retour à la source assez incontournable, si l’on ne veut pas se priver d’un pan considérable de la littérature voire de l’art en général, si l'on ne veut pas se priver non plus d'un réel plaisir de lecture.
Le choix d’un recueil de contes est une tâche difficile – mais délicieuse, je l’avoue.
Dimanche matin, je suis tombée sur celui, ô joie, ô délices ! Pour être honnête, j'ai sauté dessus à la seule vue du nom de l'illustrateur, Montjoie, Saint-Denis !
C'est une invitation au voyage qui ouvre ce recueil, un voyage lent et silencieux, qui coule vers une terre qui n'a l'air de rien mais dont on sait pertinemment qu'elle va charier son lot de fureur et d'effroi, d'ogres et d'enfants perdus, de marâtres cruelles...
Gianni De Conno instille l'étrangeté par petites goulées, par une juxtaposition d'incongruités, comme ces disproportions glaçantes...
Chaque conte est illustré d'une image, deux, rarement plus, quelques cabochons, si peu pour installer une ambiance, et pourtant... Le travail de Gianni De Conno, pour spectacualire de maîtrise qu'il est, s'inscrit dans une région discrète et peu explorée, dans les moments suspendus de l'histoire, dans le silence d'un instant de sidération...
... dans l'attente d'une bête à l'affût...
Tout concourt à faire de ce recueil un livre à la fois classique et étrange,
presque vénéneux,
un indispensable.
et il y eut Montreuil...
Il y eut des gens, beaucoup de gens, ceux qu'on voulait voir, embrasser, et c'était joyeux, réconfortant même, ceux qu'on a loupés, pff, et puis point trop de dédicaces cette année parce que les queues sans fin ça va bien, mais quand même un Champignon Bonaparte, ça ne se refuse pas, un Poupoupidours non plus...
Soleil d'hiver
Aujourd'hui, je dessine une lune sur la buée du carreau.
Si cette image ne vous émeut pas, je rends mon tablier.
Un poème de Jorge Lujan, traduit par Carl Norac, une merveille de délicatesse.
Un enfant attend le retour de sa mère, dans cet espace de vague angoisse et d'aventure où tout est possible, même pour cinq minutes. La mère apparait dans le croissant de lune, tout va bien, la nuit peut tomber vraiment.
Illustrer ce poème demandait de la légèreté et infiniment de modestie. Il fallait Mandana Sadat.
Marie et les choses de la vie
La gourmande Marie vit à l'ombre d'un cerisier, toute à sa complicité avec sa grand-mère adorée. L'arbre est accueillant et la vie est belle. Jusqu'au jour
Des histoires de grands-parents fragiles, lorsque les rôles s'inversent, il y en a. Il commencerait même à y en avoir beaucoup. Mais celle-ci est différente. Elle est d'abord d'une grande délicatesse qui ne cède jamais à la facilité de la tristessse. Le texte de Tine Mortier en dit juste assez pour comprendre, sans alourdir.
Marie savait exactement ce que disait Mamie. Elle le lisait dans ses yeux et cueillait les lettres de sa bouche. Avec précaution. Car Mamie était devenue lente. Vraiment très lente.
Et puis les images de Kaatje Vermeire. De grandes doubles pages, somptueuses. Collages, dessin, tampons, textures, transparences...
Et lorsque Marie veut renouer le fil, l'image renvoie la maladie au second plan pour se concentrer sur la vie, la gourmandises, la couleur et ces petites choses étranges et décalées que la petite fille manie avec art.
Marie et les choses de la vie
Tine Mortier & Kaatje Vermeire
traduit du flamand par Josiane Bardon
Le Sorbier, 2011
le chevalier de Ventre-à-terre
Oyez, oyez !
Après le lapin, le chat, les autruches, le champignon, le singe, l'édredon même...
... vif, noble, fougueux, racé, portant haut le haume, ne ménageant pas ses efforts. Et même si la journée traine un brin en longueur, il est tout de même passionnant de suivre le sire de Ventre-à-terre en route vers le champ de bataille. Enfin, de bataille... Vers le champ, dirons-nous.
Vous l'aurez compris, la désopilance de cet album tient au décalage franc et massif entre le texte et l'image.
Au premier chant du coq, le chevalier de Ventre-à-terre ouvre un oeil et s'exclame: "Pas une minute à perdre ! Pas une minute à perdre !" C'est la guerre. L'armée du chevalier de Corne-Molle, son ennemi juré, a envahi son carré de fraisiers. L'affaire ne peut se régler que par une bataille sanglante et sans merci.
Non mais.
Cependant, c'est sans compter avec le saint patron de notre héros, Saint-Procrastin, dont on peut admirer la représentation sur cette image - où l'on découvre, par la même occasion que les temps ont beau changer, le gastéropode renvoie néanmoins l'homme à ses propres failles. Si, si, je vous jure.
Car avant de vous engager dans cette lecture, soyez conscient du chemin à parcourir, sachez que les images de Gilles Bachelet s'explorent. Elles nécessitent des aller-retours, des lectures approfondies. Oui, elles se méritent. On ne rigole pas avec la rigolade. C'est comme ça. Et c'est un tel plaisir de dénicher les références, les incongruités, les hommages, les clins d'oeil... Tous témoignent de la malice de Monsieur Bachelet. Voilà, c'est ça ! Le chevalier de Ventre-à-terre est un album malicieux.
Mais je réalise que j'en deviens intarrissable.
Je concluerai donc enfin par cet envoi bien senti :
Le chevalier de Ventre-à-terre
Gilles Bachelet
Seuil Jeunesse
novembre 2014
Un dernier mot, je tenais à remercier Gilles Bachelet pour l'hommage discret rendu à un gastéropode aujourd'hui presque tombé dans l'oubli, mais dont certains entretiennent le souvenir vif et ému...
Zita, la fille de l'espace #3
Ici Za, qui vous parle en direct du fond de l'armoire... Je me suis réfugiée dans ce recoin obscur afin de pouvoir vous parler du troisième tome de Zita, la fille de l'espace. Les effluves que vous percevez n'ont rien à voir avec les gaz d'échappement d'un quelconque vaisseau spatial. C'est de la naphtaline.
Je n'ai que peu de temps pour vous dire tout le bien que je pense de ce roman graphique. En effet, une horde d'enfant - sans s, il n'y a n'a qu'un - rôde, à la recherche du précieux objet.
- T'es oùùùù ?
Voici donc le troisième tome qui clôt les aventures de Zita, petit bout de fille sans super pouvoirs particuliers, si ce n'est un courage et une loyauté envers ses amis franchement hors du commun. Et une bonne dose d'inconscience aussi, il faut le dire. Mais c'est une héroïne et les héroïnes, c'est comme ça.
- T'es là ?
- Non !
Au début de cette histoire, Zita est envoyée dans un cul de basse fosse par le maître des oubliettes, un affreux de la pire espèce qui, avouons-le, ne semble pas savoir à qui il s'attaque. Car Zita est une dure à cuire.
Pourquoi Fiston 1er est-il devenu fan de Zita, pourquoi a-t-il si facilement contaminé son entourage ?
- Allez, c'est pas que pour moi !
- T'avais qu'à pas le lui promettre ! J'ai une chronique sur le feu, moi !
Zita se lit facilement, dans tous les sens du terme : images et texte. L'essentiel, dans une économie de moyens tout sauf réductrice. Le dessin de Ben Hatke est efficace et même si je ne raffole pas de la mise en couleurs. Son sens du mouvement embarque tout : ça saute, ça court, ça virevolte dans tous les sens ! Et même si l'omniprésence d'onomatopées parfois redondantes m'a un peu gênée, ce troisième et dernier tome clôt la série en forme de feu d'artifice.
- Clang ! Grrrr... CHOOM !
- Ne te fatigue pas, je n'ai pas peur !
Ce serait donc la fin des aventures de Zita - je ne veux pas y croire, Fiston 1er balaie même cette idée d'un revers de la main dédaigneux. Mais s'il faut en finir, autant que ce soit dans une explosion de créatures nouvelles, squelette déjanté - et désossé, tas de chiffons doté de la parole et d'un sens de l'humour assez particulier, robots, affreux, bestioles, tout un bestiaire interstellaire franchement réjouissant.
- Je peux, ça y est ?
- Ouais, tiens ! Tu n'auras qu'à le ranger avec les deux autres, dans TA bibliothèque ! Et merci qui ?
Voilà. Zita s'en est allée vers de nouvelles aventures, de nouveaux rayonages... Mais jusqu'à quand ?
Zita, la fille de l'espace
tome 3
Ben Hatke
Rue de Sèvres
septembre 2014
les trois dragons
Trois dragons vivent au fond de la mer. Ils sont frères. Deux sont sont pétris de défauts, pas le troisième. Mais ils partagent le même coupable penchant pour l'éclat des pierres précieuses. C'est cette avidité qui les pousse à faire appel à une redoutable magicienne, reine des ténèbres marines...
En quelques albums, Lucie Vandevelde a installé un univers particulier, dessiné-collé-coloré. Elle nous offre aujourd'hui un conte merveilleux dont elle a également signé le texte. Un texte qui s'installe en haut de doubles pages verticales, dans un mouvement toujours ascendant, du bas de l'image vers l'histoire calée au-dessus.
"De Malo à Dunkerque, entre le Minck et la grand-plage, des airs carnavalesques trottinant dans la tête..." Le début de la dédicace en exergue en dit long sur l'imaginaire ici aux manettes.
Des bleus à n'en plus finir, parasités d'étoiles, de confettis, de sourires et de lumière, c'est un vrai carnaval sous-marin
Pour accompagner cette lecture et s'approprier les images de Lucie Vandevelde, un carnet d'artiste, Au pays des dragons, est publié en même temps que cet album. Colorier mais pas seulement, il est question de dessiner, d'écrire, d'imaginer, d'inventer aussi. A vos crayons !