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les dévoreurs de livres # 1

Publié le par Za

La littérature est, au sens propre, une passion envahissante, on l'a déjà vu. Mais elle est aussi une affection dévorante qui engloutit le lecteur au fur et à mesure qu'il avale les livres. Littéralement.

"Je fermai le livre très doucement, le flattai avec la paume de ma main droite comme pour y laisser ma chaleur... et le mordit avec une volupté que j'ai rarement retrouvée depuis.

Ma mère crierait, Jacques m'engueulerait - un livre neuf ! avec des traces de dents ! - mais tant pis, la tragédie grecque portait déjà ma marque ! "

 

ange cornu

Dans le Montréal des années cinquante, le jeune Michel Tremblay est un dévoreur de livres comme on en fait peu, de la catégorie des obsessionnels, des malades, des ravagés. La Comtesse de Ségur, Jules Verne, tout y passe, avec la même fringale impossible à rassasier. Et un jour, fatalement, vient le temps d'inventer et d'écrire...

Quel bonheur que ce livre ! Quel plaisir de lecture ! Michel Tremblay est auteur dramatique. C'est logiquement dans les dialogues qu'il se surpasse, des dialogues en joual, avec l'accent qui vient tout naturellement à l'oreille. C'est pour ces affectueuses disputes entre Michel et sa mère qu'il faut lire ce livre, des disputes que je qualifierait de ... pagnolesques!

"Chus ben contente que t'aimes lire, Michel, mais si c'est la lecture qui te rend malade comme ça, j'vas t'acheter un bâton de hockey pis tu vas aller te faire des muscles ! "

Michel Tremblay, a grandi entre une grand-mère lectrice impénitente et une mère qui avait un avis très clair sur la question , une philosophie dont on devrait se souvenir au moment d'ouvrir un livre, ou en le refermant, juste avant d'asséner aux patients lecteurs de son blog un avis ferme et définitif...

"Chus pas une spécialiste de la littérature, moi ! J'me contente de lire des livres, de suivre l'histoire qu'on me conte, de brailler quand c'est triste pis de rire quand c'est drôle... J'me pose pas des question jusqu'à demain quand je lis une phrase ! J'finirais jamais un seul livre ! J'sais quand une histoire est à mon goût ou non, pis j'lis le livre ou non, c'est toute !"

 


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quel phénomène, ce Charles !

Publié le par Za

C'est l'histoire de l'album qui se vend plus vite que son ombre ! À peine paru, déjà épuisé, en réimpression, je suppose. Je n'ai pas vraiment d'expérience dans ce domaine, mais être tiré à 10 000 exemplaires et se retrouver épuisé en à peu près deux mois, ça vous pose un album... Évidemment, j'en voulais un au pied de mon cabas  mon sapin pour moi pour Petitou. Mais non, ô désespoir, introuvable, des meilleures librairies aux plus grandes enseignes. Ou presque. On réussit, j'ose à peine l'écrire, à en commander un à la fn..., pour finalement en croiser trois exemplaires sur les rayonnages d'une librairie clermontoise, ça nous apprendra. Mais, me direz-vous, pourquoi tant d'efforts, tant d'acharnement ?  Quel est ce Graal littéraire qui a fini par atterrir cette semaine à la maison ?

 

Charles, bien sûr !!

 

 

charles

 

 

C'est ce qui s'appelle un grand  album (41X29 cm, quand même), le genre derrière lequel on peut se cacher, s'il le faut, pour se perdre dans les immenses dessins de Philippe-Henri Turin, gloire à lui. Parce que c'est époustouflant. De précision, de mouvement, de couleurs, d'humour. Le coup du dragon, ça devient risqué, rebattu même. Mais là... Charles, enfant chéri de ses parents dragons, fait sa rentrée à l'école. Il se rend vite compte qu'il est différent, lui, le maigrichon aux grands pieds - Petitou raffole du mot maigrichon qu'il met à toutes les sauces, juste pour le plaisir de le prononcer, je crois.

 

 

charles 1

 

 

Charles aux ailes démesurées, de vraies ailes de géants qui l'empêchent de voler et provoquent les moqueries de ses camarades. Et puis, pire que tout, Charles est poète. Il noircit  de vers les pages de ses cahiers. Jusqu'au jour où... Jusqu'au jour où, vous aussi, vous plongerez avec délice dans le texte d'Alex Cousseau, un texte comme on les aime, de ceux qui ne prennent pas les enfants pour des imbéciles. Ni les grands d'ailleurs. Parce que bon, je veux bien lire des histoires à Petitou - il commence à très bien se débrouiller sans moi, d'ailleurs, mais je refuse de m'ennuyer, de lui asséner des textes mal écrits, bêtifiants, bâclés.

 

Alors on ne boude pas son plaisir lorsqu'on tombe sur un trésor pareil ! 

Il sera bientôt à nouveau disponible.

Commandez-le immédiatement à votre libraire préféré.

C'est un ordre.

 

 

charles-2.jpg

 

 

  challenge-copie-1

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notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Publié le par Za

Chers amis désespérés,

 

Prenez quatre euros et quelques minutes.

Quelques minutes pour découvrir ce texte et des mois ensuite pour y penser, y retourner.
C'est ça. C'est un texte qui retourne.
Lu cet été, en plein soleil.
Relu, même, à voix presque haute, immédiatement.
Pas chroniqué, trop casse-gueule.
Car que dire de plus, qui n'aurait été inutile.
Pas rangé, reposé dans la pile à lire qui fait parfois ressurgir ce qu'on lui a confié, aidé en cela par une lecture sur la toile, qui remet la puce à l'oreille.
Et je découvre à cette occasion, l'interprétation qu'en font les Têtes Raides sur scène. 
J'y replonge, et retrouve, coincée entre les pages 16 et 17, une fleur rose séchée qui est devenue violette (mon côté fleur bleue).




Stig Dagerman écrit ce texte en 1952 - il ne sera publié en France qu'en 1981. Sous ce magnifique titre  se cachent dix pages serrées, impitoyables, écrites au scalpel, sur ce qui a conduit Dagerman à cesser d'écrire, de peur de n'y arriver plus, puis à cesser de vivre.
Le texte débute ainsi : "Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationalisme ou la candeur ardente de l'athée. Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute comme si celui-ci n'était pas, lui aussi entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible a rassasier."

Comment chercher alors, accueillir cette consolation fugace, éphémère, impossible à tenir, qui ne sera jamais assez solide pour devenir fondation, étayage, ce mirage de consolation, si bref, si trompeur... Il devient alors nécessaire de se mettre à l'affût de sa condition d'humain libre, si tant est que la liberté soit possible. Aucun espoir dans ce texte. Pas de bonheur, non plus. Le mot n'y figure jamais (mais je m'appuie sur une traduction). Ceci étant dit, je m'en accommode assez bien, tant ce pauvre bonheur est mis à toutes les sauces jusqu'à en devenir boursouflé et vain. Le seul sentiment de félicité se trouve hors du temps, il est lié à la nature, à l'autre, en tout cas jamais à l'écriture.  "Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie."

Alors, amis désespérés, ne lisez pas ce livre.
Pour les autres, c'est à dire ceux qui ne le seraient pas encore - désespérés, sachez que la lucidité crue de ce texte fait un peu mal, de ce mal qui fait qu'on est vivant.
Aussi.


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décembrrrrrrrr

Publié le par Za

 

 

 

AUTRE 3757bis

le Plomb du Cantal surveille son monde gentiment engourdi de gel,

loin, loin sous le zéro

 

 

DSCF6381bis

 le Plomb, au bout de mon bonnet pointu

(photo © P.L.)

 

 

AUTRE 3747bis

 la rivière,

sur son trente et un de dentelles transparentes

 

 

AUTRE 3752bis

  toute en ombres chinoises délicates

 

 

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 et l'on ne fait plus la différence entre la terre et l'onde

 

 

AUTRE 3753bis

qui fond lentement sous le regard du promeneur 

 

 

AUTRE 3766bis

le promeneur qui parfois dérange, souvent intrigue

 

 

AUTRE 3765bis

 drues, velues, hirsutes, mal peignées

 

 

AUTRE 3768bis

sabots dans la neige,

qui a dit qu'il faisait froid

 

 

AUTRE 3776bis

accident de guidon

 

 

AUTRE 3788bis

 cabane à lapins

toutes fenêtres closes

 

 

AUTRE 3780bis

  revenir avant la tombée du jour,

un peu froid aux genoux finalement

 

 

AUTRE 3794bis

le feu dans les arbres, il est temps de rentrer

Publié dans in my heart

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le grand sylvain

Publié le par Za

Et si, pour finir, être adulte ne consistait en rien d'autre que réparer sans fin les renoncements de son enfance ? C'est l'idée qui parcourt ce texte bref de Pierre Bergounioux. Un évènement anodin en apparence, une rencontre fugace mais inoubliable, en l'occurrence un insecte, peut se propager en onde ininterrompue jusqu'à provoquer la volonté sans faille de renouveler cette rencontre, de solder le manque.

 

 

sylvain.jpg

 

 

Un jardin public défiant les saisons et la nature, un garçon de cinq ans, une cétoine aux reflets métalliques. La tuer pour la garder à soi. La tuer, mais comment tue-t-on un insecte sans l'écraser, comment lui ôter la vie, tout en le conservant intact ? Alors l'enfant la laisse partir, sans le savoir, vers l'adulte qu'il deviendra.

"Il faudrait de meilleurs yeux pour discerner, à trois pas de l'adulte - puisqu'on est un adulte - le gosse ectoplasmique tenant à deux mains le grand registre noir, diaphane, de ses chagrins."

 

Avec Bergounioux, c'est toujours le même problème. On pourrait marquer chaque page, quelque part, d'un point d'exclamation en marge, comme un élan d'admiration vers une phrase tellement ciselée qu'elle en devient un monde en soi, qu'elle se suffit à elle-même.

"Il n'y avait pas bien loin de la route, où je me garais, à la prairie où j'avais affaire mais le chemin qui y mène reste, dans mon souvenir, comme la place silencieuse du village, touché de l'étrangeté des mondes parallèles où veillent les êtres en exil, les heures qu'on dit passées. "

 

Comme l'entomologiste qui use de persévérance pour dénicher la beauté des choses, ce texte, que j'ai lu deux fois d'affilée pour être sûre, demande du silence, une approche feutrée, l'air de rien. Et l'on tombe alors, émerveillé, sur ce genre de trésor : "On tient quelque chose qu'on va perdre parce qu'on ne sait rien, on ne peut pas. On enregistre le premier des déficits qu'on va essuyer sans interruption jusqu'à l'époque lointaine où l'on aura appris à fréquenter les pensées agissantes, les endroits vrais, à tuer. À partir de ce moment-là, on ne fera peut-être plus, en vérité, que travailler à effacer les vieilles dettes, à exaucer les vaines espérances qu'on a formées d'entrée de jeu, en l'absence des moyens qui auraient permis qu'elles soient comblées."

 

Sur ce texte, voir ici l'article d'Alice-Ange, de Biblioblog.

 

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Black Bazar

Publié le par Za

"Je crois que le type se souviendra de moi toute sa vie. Je n'ai jamais bavardé aussi longtemps dans un bar avec un inconnu."

Lire Black Bazar, c'est se retrouver dans la situation de ce Breton qui s'assoit au bar et engage la conversation avec Fessologue, qui tient son surnom d'une science bien à lui, reposant sur la lecture des caractères dans le balancement des fesses, féminines, s'entend. Son vrai nom, on ne le connaîtra pas. Ils est resté au Congo-Brazzaville, ce nom, quinze ans plus tôt. Fessologue est un éminent sapeur, costume Versace, Weston aux pieds, beau, forcément, ne le rappelle-t-il pas lui même régulièrement ?

"Je suis toujours habillé en costard, c'est qu'il faut "maintenir la pression", comme on dit dans notre milieu de la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, une invention de chez nous, née dans le quartier Bacongo, à Brazzaville, vers le rond-point Total, polémique à part."

 

 

black-bazar.jpg

 

 

Fessologue défend une façon d'être, élégante et légère, avec laquelle il affronte la tête haute la vie, les ruptures, les aléas d'une situation administrative délicate...

" Je ne suis pas un peureux, je ne manque pas de courage et de volonté. C'est une question de stratégie : un lâche vivant vaut mieux qu'un héros mort. C'est un conseil très judicieux de mon défunt oncle qui avait déserté le camp militaire durant la guerre du Biafra pour défendre sa modeste personne, mourir plutôt de mort lente que pour des idées qui n'auront plus court quelques lustres plus tard, comme dit le chanteur à moustache."

 

Les mots de Fessologue deviennent écriture, via une machine à écrire, une vraie qui fait du bruit. Cette tirade de deux cent cinquante pages se lit d'une traite, sans une seconde d'ennui, embarqué dans ce Paris précisément tracé, Château d'Eau, Château Rouge. Ce texte vaut aussi pour ses personnages, les habitués du Jip's, le voisin Hippocrate, Louis-Philippe, l'écrivain haïtien, modèle et mentor, tout ce beau monde dissertant sans fin sur le colonialisme et les colonisés, les femmes, la peinture...  Et Mabanckou par la voix de ses héros devient prescripteur de littérature, de césaire à ... Nothomb - un moment un peu déconcertant, à vrai dire. "Mais est-ce qu'il y a au moins dans tes histoires à toi un ivrogne qui va dans le pays des morts pour retrouver son tireur de vin de palme décédé accidentellement au pied d'un palmier ?"  À ce petit jeu, j'ai reconnu un texte bien en haut dans ma liste à lire impérativement :

ivrogne.jpg

 

Black Bazar, c'est de la tchatche, brillante, qui en jette, même lorsqu'on aborde les sujets les plus graves - la colonisation et les colonisés, l'identité. C'est parfois à se demander si, en voulant faire imploser les clichés, Mabanckou n'en remet pas une couche... Quoi qu'il en soit, je m'en vais écumer les autres romans d'Alain Mabanckou - j'ai encore de la marge. Jusqu'à en être réduite à attendre le nouveau ?

 

 

Publié dans romans, Alain Mabanckou, Points

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ma soeur-étoile

Publié le par Za

En écho à Demain j'aurais vingt ans, Alain Mabanckou signe ce texte magnifique, au Seuil Jeunesse. Je viens tout juste de terminer son Black Bazar et voilà que ce matin, dans ma librairie préférée, je tombe sur cet album, l'occasion était trop belle !

 

 

souer etoile

 

 

Mabanckou revient là encore à son enfance, à cette grande soeur morte deux ans avant sa naissance, et qui garde en elle, peut-être, tous les autres enfants que sa mère n'a pas eu après lui. Cette soeur, devenue une étoile à laquelle il peut raconter ses malheurs, et qui dessine dans le ciel, rien que pour lui, les moutons du Petit Prince. Cette soeur dont il porte le deuil sans l'avoir jamais vue que sur une photo que sa mère porte sur elle.  Cette soeur à laquelle il croit tellement qu'il arrive à convaincre son copain Nestor, qui n'attendait que ça. C'est le premier texte de Mabanckou pour la jeunesse. Il manie ce thème délicat sans détour, franchement, mais sans brutalité non plus.

 

On retrouve dans cet album, les personnages du roman : l'oncle René, papa Roger et surtout maman Pauline, avec son pantalon moulant orange et même un immense porc-épic, clin d'oeil à un précédent roman d'Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic.  Le travail d'illustration de Judith Gueyfier est remarquable. Elle enveloppe le rêve de bleus profonds, de violets, de roses si doux. Elle rend la lumière du jour éclatante de couleurs franches et de beaux sourires.

 

 "J'ai écrit cette histoire de mon enfance parce que, même devenu adulte, je suis resté cet enfant qui court après sa Soeur-Étoile. Et c'est peut-être aussi pour cela que je suis devenu un écrivain." 

 

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tag de Noël

Publié le par Za

Me revoilà taguée par cette chère L'or...

Cette fois-ci, il faut juste (!) se transformer en Mère Noël. C'est bien parce que c'est elle... L'idée de me retrouver sur un traîneau, là-haut, dans l'air glacial et chargé de neige... Je comprends qu'il ne fasse ça qu'une fois par an, l'Autre !

 

Donc, cinq livres à offrir pour Noël, à qui ?

 

 

pour celui/celle qui a aimé La colère des aubergines

 

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pour l'ami(e) vrai(e), Vian est entré dans la Pléiade...

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pour qui aime cette écriture magnifique

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pour qui aurait l'esprit d'aventure...

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au gourmand, à la gourmande

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Mais maintenant que j'y pense, toutes ces personnes, finalement, pourraient être un peu moi... Et... ça alors, je n'ai aucun des cinq livres en question ! Comment ? Moi ? Jalouse de Petitou parce qu'il a posté samedi matin sa lettre au Père Noël  ? Pffff... N'importe quoi !

Publié dans tag

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chère mademoiselle...

Publié le par Za

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Alice Ferrières a un peu plus de trente ans, en 1941, lorsqu'est promulgué le second statut des Juifs. Elle est professeur de mathématiques au collège de jeunes filles de Murat, dans le Cantal. Elle prend immédiatement contact avec les rabbins de Montpellier, Nîmes et Clermont-Ferrand pour leur manifester son indignation, leur offrir son soutien. Au début, on se méfie un peu d'elle, mais c'est de ces correspondances que naît un engagement de chaque instant. Le 15 juillet 1941, le Comité d'aide aux réfugiés de Clermont-Ferrand lui répond ceci : "Nous sommes certains qu'avec des coeurs comme le vôtre nous arriverons à surmonter les difficultés présentes, qui ne sont dues qu'à un égarement momentané de la conscience humaine." Glaçant.

 

Alice Ferrières est protestante - mais incroyante, laïque, républicaine. L'ombre des persécutions contre les Huguenots plane sur son engagement, mais ce n'est pas tout. Patrick Cabanel le précise dans son introduction : "le Protestantisme est plus une mémoire, pour Alice, qu'une foi."  " Ce n'est pas par charité chrétienne que je suis venue spontanément aux côtés des persécutés israélites, mais simplement parce que les injustices m'ont toujours révoltée, parce que je pense que tous les hommes sont frères et que mon devoir est de soulager leurs souffrances physiques et leurs souffrances morales." (Lettre d'Alice à Franzisca Akselrad, 15 février 1942) 


Elle entretient une abondante correspondance avec des familles juives, apportant réconfort moral et soutien pratique (denrées alimentaires, vêtements). Elles les aide parfois à retrouver un emploi, au moment où toutes les portes se ferment, où certains d'entre eux se retrouvent empêchés d'exercer leur profession.

 

Fin 1942, son père, qui vivait avec elle, meurt. "  À partir de là, [dit-elle] j'étais seulement responsable de moi-même." Alors va commencer, dans son appartement situé sur la place principale de Murat, un défilé ininterrompu de familles, d'enfants, tous juifs, transitant par le Cantal, où cherchant asile dans la région. Les enfant sont accueillis dans les internats de la ville, ceux qui ne peuvent être scolarisés sont placés dans des familles de la région.C'est encore dans son appartement que, le dimanche matin, les enfants juifs relevant des écoles chrétiennes reçoivent, en lieu et place de la messe, des leçons d'hébreu, apprennent des chants sionistes, toutes fenêtres ouverte lorsqu'il fait beau... Et Alice cuisine cacher, tout naturellement.

 

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Murat (août 2010)

 

Patrick Cabanel a collecté un fond précieux de lettres - Alice conservait les copies de ses propres courriers. Il y a aussi  son journal, dans lequel elle consignait toutes ses activités, les personnes reçues, jusqu'aux menus des repas. C'est une chose incroyable de penser  qu'elle a tout conservé, archivé, au risque de voir cette somme tomber entre les mains de la Gestapo. Que n'aurait-on trouvé chez elle, si son appartement avait été perquisitionné...  Parlant de la famille Meyer, à la Libération : " Je leur rends leurs papiers marqués Meyer, calendrier et livre de prière pour la Pâque juive, ornements du culte, et les tefilinn de M. Meyer père." Alice est d'ailleurs plusieurs fois dénoncée. Ces dénonciations resteront sans suite - les gendarmes ne sont-ils pas les parents de ses élèves...  Ses élèves qu'elle a sensibilisées à la situation des Juifs et qui l'aident, notamment, à collecter nourritures et vêtements !  "Ces enfants (elles sont neuf, de 16 à 18-19 ans) ont pris contact pour la première fois peut-être avec des situations qu'elles ne soupçonnaient pas, et l'heure que nous consacrons chaque semaine au dépouillement du courrier et à nos projets est certainement pour elles une heure d'émotions généreuses, une heure où elles secouent l'inertie et l'égoïsme de la nature humaine..." (Lettre d'Alice à Mme H. Bloch, le 25 janvier 1942)  Elle reçoit également le soutien et l'aide active de sa directrice, Marie Sagnier et d'une de ses collègues, Marthe Cambou.

 

Les lettres et le journal nous donnent à voir une femme instruite, indépendante, intransigeante, déterminée, le tout accompagné d'un caractère bien trempé... Le 26 août 1944, " incident avec les FFI. Veulent me garder à vue car je refuse catégoriquement de montrer ma carte d'identité. Je  suis dans une colère bleue. Attroupement. Finalement, Huberte Charbonnel annonce qu'elle me connaît. Ils me relâchent. Nous nous insultons copieusement avec le chef, un certain Sourbille." (extrait du journal)

Et ce passage, irrésistible: "Ici nous sommes dans 30 cm de neige et il a fait -18°C (même -21°C un jour) à 8 h 30 du matin. Je me suis laissée entraîner par mes élèves sur les pentes autour de Murat, et j'ai fait mes premiers essais en luge et en ski. Comme je suis restée très gaie et très joueuse, je me suis beaucoup amusée; jeudi dernier, j'ai même télescopé un frère de l'école libre, qui déboulait, en skis, d'une autre piste. Il est passé en trombe sur l'arrière de mes skis, et dans une grande envolée de jupes et de pantalons, nous nous sommes aplatis quelques mètres plus loin. Le corps enseignant qui est les quatre fers en l'air ! Vous imaginez  d'ici les éclats de rire de la société..." (Lettre d'Alice à Mme H. Bloch, le 25 janvier 1942)


Alice Ferrières est la première femme en France a être élevée au rang de Juste parmi les nations. Le 24 août 1964, elle plante un des premiers arbres de l'allée des Justes, à Jérusalem.

 

Ce fut une lecture au long cours. Pour deux raisons. La première réside dans la nature du document, des centaines de pages de lettres, avant le journal, exceptionnel. Et puis la charge émotionnelle des témoignages des persécutions, des privations, du déchirement absolu de vouloir protéger ses enfants au prix de la séparation... Alors, depuis le mois d'août, ce livre m'accompagne régulièrement, j'y reviens toujours. Le travail de Patrick Cabanel, qui a rendu cette somme accessible à tous, est inestimable. Son introduction, passionnante, est précédée d'une belle préface de Mona Ozouf.

 

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les toits de Murat (février 2010)

 

"Pour que le caractère d'un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir l'observer pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans exemple, s'il est absolument certain qu'elle n'a cherché de récompense nulle part et qu'au surplus elle ait laissé sur le monde des traces visibles, on est alors, sans risques d'erreurs, devant un caractère inoubliable."

Jean Giono, introduction à "L'homme qui plantait des arbres"

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Ouragan

Publié le par Za

"Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans", est là depuis toujours, enveloppée dans son obstination à vivre et ce n'est pas cet ouragan qui la fera plier. C'est elle, si frêle et si déterminée qui orchestre cette épopée à plusieurs voix, paroles croisées, entremêlées sans jamais se confondre, le contraire de la cacophonie, un concert d'humanité pure qui vous happe dès la première phrase.

 

 

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Dans la sidération provoquée par l'arrivée de l'ouragan Katrina, les oubliés de la Nouvelle-Orleans disent leur vie, tout de suite, avant qu'elle ne soit emportée par le vent, dévorée par les alligators. Car il y a urgence, urgence à ne pas céder, à éprouver sa liberté, à garder la tête haute face au déluge, à la mort même. Il est question de fidélité aussi - fidélité aux morts, à Dieu, à une femme perdue, à un enfant.

À l'image des détenus en cavale, les personnages de Gaudé sont tous "prisonniers d'un monde qui n'existe plus". La beauté de ce monde n'apparaît alors plus qu'aux fous, de façon fulgurante, avant que l'horreur ne s'incarne, impitoyables mâchoires des alligators. 

"O spectacle inouï du cataclysme. Sous nos yeux, le cimetière s'étale en une vaste plaine inondée. Aux statues et mausolées qui surnagent se sont accrochées des algues et des branchages charriés par le vent. Et partout, marchant élégamment avec indifférence, des flamants roses. Paul the Cripple me montre du doigt certaines tombes en sautant littéralement de joie : des grappes de singes de différentes espèces s'accrochent aux croix ou sautent de l'une à l'autre. Plus loin, des perroquets multicolores ont élu domicile sur des toits de caveaux, caquetant dans le silence des marais. "C'est le zoo, dit-il avec joie. Tout cassé le zoo ! ..." Je contemple ces animaux aux couleurs inouïes, ces singes qui bondissent et se grattent avec indifférence. Nous découvrons soudain un grand cerf aux boix larges couleur de chêne, qui nous regarde avec surprise."

Les imprécations de Josephine Linc. Steelon n'y feront rien. Le bayou reprend ses droits sur la ville qu'il faut abandonner à la colère du monde. C'est dans cette parole intarissable que le texte de Laurent Gaudé puise son souffle et son identité.

"Moi, Josephine Linc. Steelson, fatiguée d'être vieille, je voudrais finir au vent, éparpillée. J'entends la pluie qui martèle le toit et je sens que ma vieille maison de négresse est sur le point de craquer. Si tout s'effondre d'un coup, je disparaîtrai sous les gravats et le monde, tout autour, continuera à se convulser, sans se souvenir de moi. Ce serait bien, mais je dure. Pourquoi suis-je aussi solide ? Pourquoi est-ce que le vent ne me casse pas les os ? Il tord les carrosseries, arrache les balcons mais me laisse intacte. Que les cheveux volent sur les bayous, que mes os soient engloutis dans les marais et que mes dents se plantent en terre. Je voudrais mais le vent souffle et me laisse en paix. Je suis une vieille négresse increvable. Tout se tord, et moi, je reste."

Ouragan est un beau roman, baroque, déchirant et terriblement humain.

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