Dans les catégories d'âge qu'on attribue parfois aux livres, vous connaissez bien entendu la littérature dite young adult, à mi-chemin entre ado et adulte. Entrons aujourd'hui, lecteur fidèle (et patient), dans la littérature old child, autrement appelée je-lis-encore-des-albums-et-alors ? En temps qu'ancien enfant, je me sens parfois chouchoutée par les auteurs-illustrateurs d'albums jeunesse, au point de m'en croire seule destinataire. Non pas que les ouvrages dont il va être question ne sont pas destinés aux enfants, loin s'en faut. Mais l'adulte qui les lit loin de toute contingence enfantine, y trouvera grandement son compte.
Cavale d'abord. Mais qu'elle est énigmatique cette couverture ! La citation de Christian Bobin placée en exergue ne l'est pas moins. Habitués aux couleurs de Rébecca Dautremer, nous voici dans le sépia, dans l'ombre. Le bien nommé Cavale court sans cesse. Il court de peur que Fin ne le rattrape. Ce n'est pas lui sur la couverture, le petit homme sous le grand chapeau, c'est Maintenant. Il est l'enfant de Cavale et de Montagne, la seule qui a réussi, de manière un peu brutale, à arrêter la folle course. Le dessin s'étend en pleine page ou se fractionne en séquences, donnant l'impression du mouvement.
Le texte métaphorique de Stéphane Servant se lit discrètement, en orange sur fond blanc, se met parfois en retrait, laissant à l'image plusieurs doubles pages de suite avant de reprendre sa place. Le dessin court et le texte pose le temps de la réflexion. Aux images l'action, les cris, aux mots la mise à distance de la peur et de la fuite. Car Cavale fuit du haut de ses quelques paires de jambes, il fuit devant Fin l'inéluctable. Cette belle leçon de vie, à qui est-elle destinée ? Doit-on l'accompagner d'une explication de texte, au risque de l'affadir ? Ne serait-il pas plus juste de laisser la compréhension du jeune lecteur en l'état, aux prises avec les évocations qui lui seront accessibles, jusqu'à une prochaine lecture différemment éclairée, jusqu'à une lecture de young adult ou d'old child ?
Cavale
Stéphane Servant & Rébecca Dautremer
Didier Jeunesse, octobre 2017
Dans le bestiaire Bacheletien, on connaissait l'éléphant le chat, l'autruche, le champignon, l'escargot... Voici le gant. Mais pas n'importe lequel. Le gant domestique, celui qui ne sort jamais dans la rue, le mal aimé, voué aux pires travaux, à la sale ouvrage : le gant Mapa (petit R dans un rond).
Georges et Josette se rencontrent à la piscine, tombent amoureux, se marient, ont des enfants, des hauts et des bas, une vie entière de gants ménagers dans le confort d'un intérieur bourgeois et de bon goût - il n'est qu'à voir la toile de Jouy recouvrant les murs. Rien de plus banal que cette histoire me direz-vous. Mais à en juger par le temps passé à scruter chaque page et les rires ponctuant cette lecture jubilatoire, rien n'est ici banal. Le souci du détail dont Gilles Bachelet pare chacun de ses albums est, à mon sens, la plus belle marque de respect que le dessinateur destine à son lecteur - et à sa lectrice, c'est à dire moi. Tout cela fourmille de références trempées dans l'absurde, de clins d’œil aux précédants albums, de marques de connivence envers les Bacheletophiles, sans pour autant laisser sur le bord du chemin les primo-Bacheletiens.
Je pense cependant, et je ne crois pas m'avancer, que le lecteur d'âge minuscule, à partir de 7 ou 8 ans, et pour peu qu'on lui ait fourni un début de sens de l'humour, ne manquera pas de se bidonner devant l'éclosion des petits canards wc, l'enthousiasme de la brosse de compagnie, et pour peu qu'il ait le sens du détail, la collection de cravates de Georges devrait le mettre en joie.
Une histoire d'amour
Gilles Bachelet
Seuil Jeunesse, novembre 2017