Pierre Cormon
D'abord, une belle réussite éditoriale. Format pas commun, couleurs qui ne pouvaient qu'attirer mon oeil, titres alléchants, illustrations drôles, drôles d'illustrations. L'Atelier du poisson soluble a encore frappé. De quoi accrocher un lecteur de fin de vacances, qui a un peu abusé des mots pendant ces deux derniers mois, mais en reprendra bien une dernière lichette pour la route...
J'ai commencé par les Mémoires de Satan, recueil de nouvelles qui s'ouvre sur un long texte presque angélique... Pauvre Satan, pauvre bougre, au prise avec des anges niais, une Divinité retors et imbue d'elle-même (voir les majuscules aléatoires de son discours, très drôles), une humanité qu'il peine à sauver d'elle-même. Comment, en effet, ne pas s'apitoyer joyeusement sur les marins de Christophe Colomb, qui, affirmons-le, avaient bien raison de se méfier. D'une nouvelle l'autre (salutaire "Football sans ballon"), Pierre Cormon nous embarque jusqu'au Jugement dernier, au procès des grands hommes, où tout le monde en prend pour son grade, Voltaire, Gandhi, Bob Geldorf et finalement, Dieu lui-même...
"- Ben oui, expliqua Satan, toute cette histoire d'enfer, c'est de la propagande, ça n'existe pas. Ils m'ont chassé ignominieusement, vous n'allez tout de même pas
penser qu'ils allaient me confier un rôle aussi important ! Ça ne tiendrait pas debout ! On ne peut pas être en même temps un proscrit et le geôlier du régime ! Vous croyez que Staline aurait
confié la gestion du goulag à un dissident ?
Un grondement parcourut la foule.
- Dites, je me suis emmerdé toutes ces années sur ma colonne pour échapper à un enfer qui n'existe pas ? cria Siméon le Stylite."
Un humour féroce, le genre qui me réjouit, une folie pas que douce, réglant leur compte aux anges obtus, fil rouge du livre.
"Et il [un marin de Christophe Colomb] s'empara d'un ange qu'il se mit à caresser. Par cette vue alléchés, ses compagnons se ruèrent sur ceux qui avaient le malheur
de se trouver à leur portée. Les anges qui le purent s'enfuirent terrorisés.
[...] Ils s'apprêtaient à commettre l'irréparable lorsque Manuel Vasquez hurla:
- Mais elles n'ont pas d'orifice, ces mignonnes !
Ils se mit à secouer Jezekhiel.
- Et comment est-ce qu'ils vont aux toilettes, ces chérubins ?
L'ange, terrorisé, répétait sans comprendre:
- Orifice ? Toilettes ?
- C'est bon, te fatigue pas, j'ai compris, grogna l'Espagnol. Vous n'êtes pas équipés pour les plaisirs terrestres.
Et il le repoussa dédaigneusement. "
Dans ces conditions, comment ne pas fureter à la recherche du second recueil de Pierre Cormon, en fait chronologiquement le premier, Le Génie de l'aubergine...
Un ensemble de contes gigognes, à la manière des Mille et une Nuits, mais en franchement pire. On peut, chez Pierre Cormon, épouser une soupe de poissons, vivre un éternel lundi, subir la dictature des fabricants de pâtes alimentaires ("Confession publique de la dernière mangeuse de spaghettis"), voir un cafard se métamorphoser en homme - juste retour des choses. Figurez-vous aussi que le Chili se trouve quelque part dans les Alpes vaudoises. Car Pierre Cormon est Suisse. La preuve, il fait ses courses à la Migros !
Au dos des Mémoires de Satan, il est écrit: "Pierre Cormon est né en 1965. Il a déjà publié Le génie de l'aubergine et autres contes loufoques, reçoit volontiers des lettres d'admiratrices."
Que l'on me compte désormais au nombre des dites admiratrices.