oh, boy !
Peut-on s'appeler Venise Morlevent ?
Peut-on être orphelin, membre d'une fratrie indissociable, gravement malade, terriblement triste, surdoué, insolent, drôle, perdu, débordant d'amour, inconsolable et se relever de tout, guérir de tout ?
Oui.
Dans un roman de Marie-Aude Murail tout cela est possible.
"Oh, boy !" est un grand cru classé de 2000 - comment m'avait-il échappé, d'ailleurs ? Des personnages qui auraient pu être caricaturaux, des situations qui auraient pu être too much chez n'importe quel autre auteur.
Mais... Marie-Aude Murail.
Je sais, à ce niveau d'admiration, je ne réfléchis plus, comme on dit chez moi, je bade. Je scrute l'art du dialogue, j'épie le sens de la formule. Il y a de la légèreté dans le drame, une sorte d'empathie douce et bienveillante, sans complaisance, sans se vautrer dans le drame, qui pourtant est bien là.
Ce roman s'ouvre sur une magnifique citation de Romain Gary, du genre qui peut accompagner une vie entière: "L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive."
- Je ne sais pas de quoi vous parlez, répondit-il, le ton neutre.
- Que ta mère s'est tuée en buvant du Canard Vécé.
La douleur déchira le maigre corps de Siméon. Il comprenait enfin ces regards qu'on lui jetait, entre horreur et pitié, ces murmures qui s'éteignaient quand il entrait dans une pièce. Il prit le temps de sourire avant de répondre:
- N'importe quoi ! C'était du Décap four.
Le foyer de la Folie-Méricourt était un concentré de misère juvéniles. Mais ça, ça en imposait. Les deux garçons, bizarrement impressionnés, se collèrent au mur pour laisser passer Siméon. Quand celui-ci entra dans la salle du petit déjeuner, il vit tout de suite que les petites soeurs déjà attablées avaient pleuré.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il en s'asseyant devant son bol.
- C'est Dent-de-lapin, répondit Morgane. Il dit que Maman est morte parce qu'elle a... qu'elle a... bubu... bubu...
Elle se mit à sangloter, momentanément incapable de terminer la fin de sa phrase. Siméon se retourna vers sa petite soeur qui chuchota comme un secret honteux:
- Parce qu'elle a bu du Canard Vécé.
Siméon prit de nouveau le temps de sourire. C'était le truc qu'il avait pour préparer ses réponses lorsqu'il était un peu pris de court.
- N'importe quoi, dit-il avec autorité. On n'a jamais eu de canard Vécé à la maison.
- Ah bon, soupira Venise, pleinement réconfortée.
Oh, boy !
Marie-Aude Murail
L'école des loisirs, 2000