monsieur kipu
Tous ceux qui pensaient que Roald Dahl était mort, et moi la première, se fourraient le doigt dans l'oeil. Profondément. Car c'est peu dire que l'ombre de l'auteur de Matilda plane sur ce livre.
Les dés sont pipés dès le départ. L'illustration de couverture de Quentin Blake impose un arrière-plan dahlien immédiat et c'est ainsi que j'ai ouvert ce roman, sous influence. D'autant que je lis peu l'anglais et n'ai aucun point de repère qui me permettrait de différencier le style de Walliams de celui de Dahl. À se demander si, finalement, être illustré par Blake est vraiment une aubaine (commerciale au moins) ou un genre de boulet à traîner en répétant "je ne suis pas Roald Dahl, je ne suis pas Roald Dahl..."
Chloé Croûton a douze ans et une famille bien lourde à porter. Un père effacé, une mère psychorigide et une soeur parfaite. Les archétypes idéaux dont on sent immédiatement qu'ils nous promettent de belles scènes d'hystérie. D'autant que le second héros de cette histoire est un clochard magnifique, un vrai, un qui pue. Mais pas qu'un peu, non. Il pue au point qu'on peut représenter son odeur, ce dont Blake ne se prive, d'autant qu'on le lui demande directement.
Tel un nuage brun foncé et menaçant, l'odeur avait en effet traversé le bois de la cabane, décollant la peinture au passage. elle avait ensuite subrepticement franchi la pelouse, avant d'ouvrir la chatière et de lancer dans une occupation agressive de la cuisine. Vous êtes-vous jamais demandé à quoi ressemblait une mauvaise odeur ? À ceci.
Oh, elle est vraiment terrible, cette odeur. En posant le nez contre la page, vous pourriez presque la respirer.
La jeune fille est la seule personne au monde à pouvoir, semble-t-il, passer outre ces remugles presque palpables. Elle tisse un lien de curiosité avec ce vagabond. Lui, il préfère promeneur. Sans a priori, elle s'intéresse à la personne derrière l'attirail du clochard, intriguée par des détails incongrus, semés comme autant d'indices, ces couverts en argent dont il ne se sépare pas, cette manière très stylée qu'il a de jeter un papier à la poubelle, d'un geste sûr.
Je m'en voudrais de dévoiler davantage cette histoire haute en couleur, qui verra la politique faire une entrée remarquée dans la vie de la famille Croûton, en la personne du premier ministre David Cameron ! La fin pourra sembler rapide mais les retournements de situation n'en sont pas vraiment et le naturel revient méchamment au galop. Monsieur Kipu est un personnage formidable, débarrassé de tout attirail bien pensant, et pourtant parfaitement idéaliste. Son franc parler faussement détaché saura bouleverser Chloé et sa famille joyeusement dysfonctionnelle.
Ce roman ne révolutionne pas le roman jeunesse. Il brasse allègrement les clichés, le clochard, la mère frappadingue, le père largué, l'épicier indien... Mais tous ces personnages sont vivants au possible et on ne va pas bouder son plaisir. Cependant, je ne peux m'empêcher de me demander ce que serait cette histoire sans Quentin Blake...
Monsieur Kipu
David Walliams
illustrations de Quentin Blake
Albin Michel Jeunesse
Coll. Witty
Un autre roman de Walliams, également illustré par Blake,
a obtenu en 2009 le Roald Dahl's Funny Price.