ma rentrée littéraire
En ces temps de rentrée littéraire, ousk'il faut avoir lu ceci, avoir un avis sur cela, dans la jungle inextricable des centaines de livres indispensables qui sortent en septembre, juste au moment où on a le moins le temps de lire - d'ailleurs, c'est comme le cinéma: pourquoi l'été est-il un désert total de nouveaux et bons films, alors que c'est là que j'ai plein de baby-sitters volontaires sous la main... Bref, trop d'abondance nuit à l'envie. En fait, dans ces circonstances, je crois que je vais me planquer derrière un ou deux classiques, ou encore, derrière quelques livres confidentiels et introuvables, que moi seule aurait l'idée de lire...
Alors, allons-y dans l'inhabituel, lâchons-nous dans le pas commun, tentons le sommet du slow book... Et mettez ça, si ça vous fait plaisir, au crédit d'un séjour prolongé à mille mètres d'altitude, alors qu'habituellement je réside en des contrées dont le point culminant, le fier et définitif Mont Pagnotte, affiche crânement ses deux cent vingt mètres ! Je digresse, je digresse, surtout parce que je ne sais pas trop comment vous faire partager ma lecture du jour dont, en plus, le titre, un brin daté, risque d'en faire fuir certains, voire même de faire hurler de rire ceux qui n'auraient pas encore pris leurs jambes à leurs cou. Enfin, leurs yeux.
Allez, j'y vais.
Je viens de lire Rabiounel, berger d'Auvergne de Suzanne Robaglia, couronné par l'Académie française en 1935. Je vous épargne la couverture, très vilaine. Résumons: la couverture est moche, le titre pas engageant... Mais je l'ai ouvert,. Et une fois ouvert, je ne l'ai plus refermé. Je l'ai évidemment abordé sans aucune arrière pensée régionaliste qui ne ferait qu'appauvrir le texte.
Ce recueil de courtes nouvelles, de récits de vie, s'inscrit dans un petit coin de monde, grand comme quelques champs, plat relatif au milieu des montagnes, battu par les vents glaciaux de l'hiver, coincé entre moutons et cailloux, égrainant les travaux et les saisons. Les hommes sont des revenants au sens propre du terme: revenus de la Grande Guerre ou revenus de Paris où ils ont trouvé du travail et laissé leur santé. Ils ont choisi de revenir vivre ici. Aux femmes les tâches agricoles et domestiques, les repas préparés qu'on ne prendra pas en commun... Suzanne Robaglia décrit ce quotidien intemporel de la Planèze dans la première moitié du XXème siècle, au plus près des gens, partageant son émerveillement pour un pays finalement plus vaste et moins simple qu'il n'y paraît.
"D'ailleurs, sur la Planèze, une incandescente blancheur brûle l'oeil attardé à la contempler; une poussière d'or tombe sur la neige, mêlée d'étoiles bleues, froides comme l'acier."
"Au-dessus des blocs basaltiques, les rochers se détachent en noir sur un ciel doré et rose, les petits arbres de pin ont des façons de genévriers et les genévriers des façons de fantômes noirs."
"À cette plénitude de la saison, il n'est plus donné de rien espérer, tout est définitif, chacun doit se contenter de récolter et déjà, dans la prévision des mauvais jours, de le faire vite."
Suzanne Robaglia est également l'auteur d'un ovni culinaire, Margaridou (préfacé à l'époque par Henri Pourrat), journal d'une cuisinière scrupuleuse - hélas une fois encore laidement édité.
"C'était des recettes parlées, avec des images de vie qu'il faut connaître pour les comprendre, c'était presque des contes de fées".
J'aime beaucoup cette idée d'une cuisine féerique - voir Christine Ferber et sa Cuisine des Fées.
On peut lire des extraits numérisés de Margaridou et de Rabiounel pour se faire une idée.
À quand une vrai belle réédition ?