Les Assoiffées, Bernard Quiriny
Rappel des épisodes précédents... Ceci est la suite de ma modeste contribution à la discussion organisée par le Réseau d'Échanges Réciproques de Savoirs et la librairie « les Belles Pages » à Murat, Cantal, pendant laquelle, me suis-je laissée dire, quelques flocons sournois en ont profité pour refaire un peu le décor...
Le plaisir de se lancer dans un roman dont on ne sait rien ! Un premier roman, qui plus est. Se jeter du haut de la première page en retenant un peu son souffle, plonger dans une écriture sans effets inutiles, au style dépouillé qui va droit à l’imagination. Bernard Quiriny ne se regarde pas écrire et son texte n’en est que plus efficace. Le lecteur est très vite installé dans un décor à la Enki Bilal, précis, étouffant, réaliste et absurde, même si, finalement, le roman aurait peut-être gagné à être plus concis, plus resserré et, qui sait, plus impitoyable encore…
Nous sommes en Belgique, aujourd’hui. Une Belgique méconnaissable où règne, depuis les années soixante-dix, une dictature féministe qui enserre le pays dans le secret et l’isolement. Pour autant, le féminisme n’est pas le centre du livre, même si les premières victimes du régime sont les hommes, humiliés, émasculés volontaires, fantômes invisibles de camps de redressement. Non, désolée, messieurs, le sujet n’est pas là.
Soucieux de soigner son image, l'Empire des femmes invite des intellectuels français à venir constater de leurs propres yeux les bienfaits de la révolution féministe. Chaque voyageurs part avec, dans ses bagages, son besoin de vérité ou de célébrité, l'assurance de voir ses certitudes confirmées. Le récit de leur voyage alterne avec le journal d’Astrid, une femme belge vivant au plus près de la dictature, dans l’ombre de Judith, la pathétique et néanmoins héréditaire Bergère qui dirige le pays. La description du fonctionnement de cet état nous renvoie aux outrances tragi-comiques de l’Albanie d'Enver Hodja, de la Roumanie des Ceausescu, bref, à la flamboyante et mesquine absurdité des régimes totalitaires.
« Dans sa chambre, Gould voulut prendre encore des notes; mais il ressentit une grande lassitude, et comprit qu'il ne pourrait plus travailler ce soir. Il passa dans la salle de bains, hésita entre la douche et le bain, opta pour le bain. Il batailla dix minutes avec les robinets et se brûla tout de même un peu en s'installant dans la baignoire. Il trempa longuement dans l'eau en chantonnant des airs à la mode, ce qui facilita la tâche des techniciennes qui, un étage au-dessus, réglaient la quinzaine de micros qu'elles avaient dissimulés dans sa chambre. »(page 92)
Nos intellectuels voyageurs n’échapperont pas non plus à quelques grands classiques du genre : l’aveuglement, la complaisance, le ridicule, l’orgueil d’avoir été choisis et, pour finir, la lâcheté, alors même qu’ils auront regagné leurs salons parisiens. On pense évidemment à certains voyages en URSS, mais quelle dictature n’a pas eu, ou n’aura pas ses thuriféraires zélés, bien à l’abri de leurs cocons démocratiques…
à suivre... (surtout que le prochain épisode, c'est le meilleur
!)