tombal cross
Il s'agit ici de connivence.
Il s'agit d'aimer un auteur au point d'aller se perdre sur l'île de Sercq, à quelques battements d'ailes de Guernesey où Mervyn Peake (qui a dit encore ?) fit deux longs séjours.
Un jour, avec Dürer, un jour que je ne me rappelle pas, le hasard avait fait surgir, de dessous la marche irrégulière d'une conversation à bâtons rompus, Mervyn Peake aux livres flamboyants comme des ciels roussis. Depuis, ce nom, hissé au mât de nos petites nefs chaotiquement portées vers ce que nous voyions du large, nous donnait une idée de la force du vent.
Les deux héros de ce récit se présentent comme des agents secrets chargés d'une nébuleuse mission. Deux étranges agents, égarés sur une île difficile d'accès, taiseuse comme tout, bien décidée à garder pour elle les traces de cet auteur à nul autre pareil. Une exploration littéraire et complice, de sentiers vertigineux en jardins inattendus, de pierres majestueuses en oiseaux évocateurs, à la recherche d'hypothétiques témoins qui l'auraient connu, croisé, qui sait, en aurait gardé un souvenir, même infime, comme une plaque sur un banc qui commémorerait son passage sur ces terres.
Un texte salement bien écrit, où apparaissent en creux les tours de Gormenghast, la silhouette de Mr Pye en promenade. Un texte salement bien écrit avec des phrases qui m'ont laissée un brin jalouse...
Tandis que nulle part sur Sark nous ne trouvions inscrit le nom de Mervyn Peake, auteur magistral de romans profus comme les forêts de l'île, scintillants comme ses grèves, dangereux comme ses falaises, profonds comme ses grottes, changeants comme ses ciels, moqueurs comme ses oiseaux.
Et plus loin...
Nulle part, ni ce jour-là ni un autre, nous ne trouvâmes le nom de Mervyn Peake, dessinateur extrêmement sûr, impertinent, imaginatif, foudroyant.
Foudroyant, c'est exactement ça. Depuis le temps que je vous bassine avec Peake, foudroyant, bon sang, foudroyant !
ill. Albert Lemant
Alors peu importe, finalement, ce que l'on va découvrir, si jamais on découvre quelque chose. C'est le voyage qui compte, la pérégrination au hasard. Il est ici question de vent, de sillage, comme si Sercq pouvait à tout moment larguer les amarres vers le pays obscur des Comtes d'Enfer, comme si Gormenghast, pure folie de pierre, se trouvait quelque part par là, au détour d'un chemin, contre l'à pic d'une falaise, dans les ombres d'un mur, dans le froissement d'aile d'un hibou.
"All flowers that die; all hopes that fade;
All birds that cease to cry;
All beds that vanish once they're made
To leave us high and dry -
All these and many more float past
Accross the roofs of Gormenghast."