charles prisonnier du cyclope
janvier 2011 octobre 2012
Deux ans ! Au bout de deux ans, on avait le droit de se penser à l'abri du dragonnet aux dreadlocks bleues. Eh bien non ! Voilà que le pendable duo Alex Cousseau-Philippe-Henri Turin nous refait le coup du gentil-mignon-dragon-esseulé ! Sans doute comptent-ils émouvoir les mères de familles qui ne manqueront pas d'acheter innocemment cet album - fort onéreux au demeurant. Et qu'auront-elle offert à leurs petits, les malheureuses ? Un recueil d'illustrations mégalomanes ! En effet, qu'a-t-on besoin de farcir un dessin de milliers de fleurs, là où d'autres ont brillamment démontré que trois gommettes suffisaient ? Et que dire du traumatisme que pourrait provoquer la vision atroce d'une cruelle scène de chasse où de pauvres oiseaux se font dévorer vivants par une bête sauvage qui n'a plus rien, finalement, de l'innocente bestiole du premier tome !
Je vous passe les désagréments dus à certaines images que je n'ai pu examiner qu'armée de solides lunettes de soleil... Monsieur Turin pense-t-il résoudre la crise énergétique par de tels moyens ?
Et cet oeil, qui saute sur le lecteur à peine a-t-il ouvert l'album... On est comme ça, chez les Cousseau-Turin, sachez-le, on hypnotise, on envoûte. C'est malhonnête.
aie confiance... lis-moi...
Quand au texte, il est farci de mots étrangers (ciao, iglou), incompréhensibles (balbuzard, troglodytes), voire imprononçables (Polyphème)... Monsieur Cousseau, écrivain par ailleurs remarquable, ne manque pas une occasion de nous asséner des vers de mirlitons à la rime riche mais facile (faim/puffin), car le dragon est toujours poète ! Poète... Qui est encore poète de nos jours ?
Je ne m'étendrai pas sur le sujet mille fois rebattu de l'amitié entre les peuples, enfin entre les espèces, alors qu'on ignore ici d'autres thèmes infiniment plus formateurs pour la jeunesse, comme l'acquisition de la propreté (car ce dragon fait bien caca, non?), ou l'arrivée d'une atroce petite soeur !
- [...] et j'ai entendu dire que tu cherchais des amis...
- Oui, répondit Charles. Mais des amis pour la vie. Combien de temps vis-tu coccinelle ? Un an ou deux ? Alors sache que moi, dragon, je vis plusieurs siècles.
- Un an ou deux d'amitié, c'est toujours mieux que rien. [...]
- Et une éternité à te regretter c'est beaucoup, ajoute Charles. Il y a longtemps, une mouche m'a appris à voler. Aujourd'hui, elle n'est plus que poussière.
Mais qu'est-ce que c'est que cette conception rentabiliste de l'amitié ? Si on suit cette logique, plus moyen de sympathiser avec une personne âgée !
D'autres choses encore ne manqueront pas de choquer les pédagogues soucieux de la sérénité des jeunes générations. La solitude de Charles... Oui, Charles est seul. Il a abandonné ses parents. Ou la réalité, que l'on nous cache, est encore plus atroce : ses géniteurs l'ont abandonné ! Ah, les Thénardiers ! Des parents indignes qui ont laissé leur progéniture voler vers des horizons peut-être plein de promesses mais plus sûrement plein de dangers ! Le voici en butte à la violence d'un inuit atrabilaire ! Plus loin, c'est un cyclope velu de la pire espèce qui s'en prend à lui ! Parlons-en du cyclope, alibi littéraire, pauvre vernis antique... Entièrement nu, exhibant une pilosité à même de troubler des générations de jeunes esprits à la libido naissante. Quand je dis entièrement nu, j'exagère un peu, la présence salvatrice d'un boqueteau ou d'un rocher opportun nous sauvant in extremis de la catastrophe.
Que vous dire d'autre, sinon que cet album est démesuré, trop généreux, trop grand. Trop grand pour des petits bras qui pourront à peine le tenir ouvert, pour des petits yeux qui pourront à peine embrasser certaines images, au risque de s'y perdre. Et ce n'est pas l'expertise de Monsieur Turin dès qu'il est question d'anatomie dragonnière qui nous fera oublier les outrances de ce livre en matière de couleur, mouvement, lumière et autre construction de l'image !
Il n'y a qu'à voir le crayonné préparatoire de ce dessin... D'où le dessinateur tient-il qu'il faille en faire autant, qu'il faille être aussi exigeant pour un ouvrage destiné, j'ose à peine le dire... à des enfants ! Quel gâchis!
En conclusion je suis navrée à l'idée que cet album, outre le fait d'encombrer les bibliothèques, aille considérablement enrichir le compte en banque de ses auteurs, dont la malhonnêteté n'a d'égal que la folie des grandeurs !
Charles prisonnier du cyclope
(28,5 x 40 cm !)
Alex Cousseau & Philippe-Henri Turin
Seuil Jeunesse
septembre 2012