Autant vous l’avouer, Marie-France Zérolo et moi, on se connaît en vrai, on ne s’est même pas rencontrées au bord du Cabas - parce qu’elle vit au bord d’un volcan, c’est vous dire ! Tout ça pour vous expliquer que ça va être une interview décontractée comme tout, où on se tutoie en buvant des choses – enfin du thé.
Voici donc Fadoli, son troisième album aux éditions Courtes et Longues. Comme pour les précédents, Mathilde Magnan a chaussé ses crayons de sept lieues et nous en met plein la vue.
Le Cabas de Za – Je peux dire sans me tromper que Fadoli est, de loin, ton album le plus personnel…
Marie-France Zérolo – Oui ! C’est le tout premier texte fini que j’ai écrit…il y a 12 ans. L’écriture est un moyen que j’ai trouvé pour transformer les « maux » en « mots ». Je suis psychomotricienne de profession et je reçois beaucoup de personnes, disons, abîmées corporellement et/ou psychiquement. J’ai besoin de soupapes parfois pour transformer ce qu’ils m’adressent.
Fadoli est l’un de ces textes « digestion », sorti tout d’un coup sans rature (ou presque), c’est un élan fort et le seul qui soit à ce point proche de ma profession, et donc de mon quotidien. 12 ans après je me reconnais encore dans ce quotidien et dans cette rencontre avec l’Autre.
Et puis Fadoli, c’est pas seulement l’autre-différent, dans le sens « handicapé », pas du tout, c’est aussi l’autre, étrangement familier dans ses différences toutes banales, et c’est aussi et surtout terriblement purement… moi. Voilà pourquoi c’est mon texte le plus personnel… sans compter le titre aux consonances provençales.
LCdZ – Tu parles d’un texte… Mais justement, dans cet album, il n’y en a pas beaucoup de texte ! Toi qui manie le verbe avec tant de délectation - rappelons-nous Le héron et l’escargot en alexandrins ! – , as-tu dû te faire violence pour effacer à ce point les mots au profit de l’image ? Comment Mathilde Magnan et toi avez-vous travaillé pour cet album-là ?
MFZ - C’est un texte qui est sorti tout seul : POUF ! Quasiment sans rature. Et quand il a été fini il était… comme plein. Aucune frustration, donc. Il est écrit aussi par les images. Je porte les images depuis très longtemps dans ma tête. Les images étaient floues, dans un registre plutôt fantasmagorique, en gros je savais bien où je voulais en venir…mais il n’y avait que moi. Ce texte a attendu sur le bureau de quelques illustrateurs sans le moindre germe de début d’image. Au détour d’une « foire au tandem » (petit jeu de rencontre virtuelle entre des bouts de texte et des images pour création commune - la dernière chez Lydie Sabourin), Mathilde a attrapé mes premières phrases, et comme on se connaît bien maintenant, elle m’a dit « qu’est-ce que tu entends par là ? », du coup j’ai compris que le texte seul était un peu obscur.
J’ai alors scénarisé une histoire faite d’images, les fées qui ne seraient pas des petites bonnes femmes, le village avec ses « on dit », la colonie de fourmi, l’allumette, l’envol, la montagne dévoreuse, la digestion, le bateau, le naufrage… le bain. Tout ce qui représente certaines angoisses très archaïques rencontrées par des patients (angoisses d’engloutissement et de dévoration, de morcellement aussi, etc..).
MFZ - Avec Mathilde on a parlé de couleurs, de vide, de pleins, d’éclats, de bouts de corps, de fil, de lumière, de fêlures pour que TOUT raconte et Mathilde a tout su traduire par ses propres images, sa jungle d’idées, tout son petit peuple à elle, ses couleurs travaillées si profondément, ses compositions, sa sensibilité, ses angles de vue…
Ensuite, il y a notre éditeur qui a aussi tout compris au propos, qui a bien su voir que ce n’était pas un livre « sur le handicap », il nous a demandé plus d’images sans texte par exemple.
LCdZ – J’aime particulièrement la double page où Fadoli est paré d’ailes de papillon. La disproportion entre les ailes majestueuses et le corps accroupi, focalisé sur une minuscule bestiole, est frappante. A contrario, il est parfois représenté en très gros plan, comme fractionné…
MFZ - Elle est magnifique cette image, quand je l’ai découverte j’ai marqué une pause de quelques minutes. Mathilde a vraiment tout interprété avec sa palette d’émotions à elle. L’idée c’était de représenter le corps fractionné, morcelé, pour que la forme rejoigne le fond, et pour que ce soit un « corps qui raconte ». Ce qui est le cœur même de mon métier de psychomotricienne. Il y a de la grâce dans ces disproportions, il y a de la beauté dans les fêlures. Et je ne parle pas seulement des fêlures du Fada, mais aussi des fêlures de tout le monde, de tout un chacun.
LCdZ - C'est exactement ce qui m'a touchée dans Fadoli. Il parle de nous tous, du pas de côté qu'on peut faire un jour, qu'on a déjà fait, qu'on fait de temps en temps.
Mais sinon, et pour être un peu plus indiscrète, et parce que je n’ai pas tous les jours l’honneur et l’avantage de recevoir une de mes auteures préférées, voici une rafale de questions brèves et senties. Quel est ton état d’esprit du moment, là, tout de suite ?
MFZ – Je suis fatiguée. Fatiguée de ma petite virée dans le Sud, dans ma famille : qu’est-ce que tu veux, c’est tous des fadas !
LCdZ – Quelles étaient tes lectures d’enfant ?
MFZ – D’enfant ? « Oui-Oui » avec une très grande fierté de les commencer ET de les finir !!!! et des BD : « Boule et Bill », « Astérix », « Gaston Lagaffe » et adolescente : la série des Thorgal. Entre les deux des contes.
LCdZ – Quelles sont tes lectures d’aujourd’hui ?
MFZ – ça fait des années que je ne lis plus que de la littérature jeunesse. J’adore la Fantasy et le Théâtre jeunesse contemporain (Bottero, Mourlevat, Orson Scott Card, Oppel), le point commun étant… la poésie qui émane de l’écriture, des mondes inventés, de la langue, selon. Et puis l’humour con, donc toujours les BD, Léonard est un génie, Achille Talon, Le Chat. Harry Potter, de 1 à 7, et les Thorgal, (toujours) en livres de chevet.
LCdZ – Et quand je dis brèves, les questions…
Pourquoi ?
MFZ – Mais sans doute pour la bonne et simple raison, que , lorsque l’on veut aller plus loin on DOIT ménager ses montures. Donc court. Oui. Bien.
Bon. Soit. De fait.